Tallinn and out

Notre 37ème et dernière conductrice est une femme ! Maia nous sauve in-extremis de l’averse. Elle rentre chez elle, à Tallinn, notre dernière étape « terrestre ». Elle avoue ne pas savoir pourquoi elle nous a invitées à monter. « Je ne prends jamais d’autostoppeurs mais quand je vous ai vues, j’ai eu envie sans réfléchir ». Ne pas faire peur, attiser la curiosité, l’envie de se connaître, voilà tout le concept de ce voyage. Sur ce point, le pari est réussi.

MaeaElle s’inquiète – comme tous les autres – de savoir si le stop n’est pas trop dangereux « pour des filles ». Nous lui expliquons – comme aux autres – que c’est justement parce que l’on est des filles qu’il est important de le faire. « Vous êtes des féministes ? ». Étrange comme dans sa bouche, le mot sonne comme une injure. Si être féministe c’est vouloir l’égalité, la liberté de penser et de se mouvoir, refuser que certaines activités ne soient réservées qu’aux hommes – plus « forts » plus « capables de se défendre », alors oui, nous sommes féministes. Maia, elle, dit ne pas l’être du tout. Elle aime que son homme gagne plus, lui achète de beaux vêtements, lui ai offert cette voiture. Elle apprécie les «tâches de femmes». « Tu veux dire le ménage ? » Oui, entre autres. Entretenir la maison, tout ça… Lire la suite

Pärnu et pour vous

« En sortant de la maison tu prends la seconde rue à droite, puis le bus numéro 6 jusqu’au terminus. ». En apparence les indications d’Aleksey étaient limpides et nous devrions arriver près de la nationale… Pourtant, en sortant du fameux bus numéro 6, nous ne voyons que des champs, une barre d’immeuble et un rond point indiquant un supermarché. La route de Tallinn semble bien loin.

Nous inaugurons notre pancarte en carton (offerte par notre hôte de Riga pour nousRaymons-Riga consoler du drame dont nous ne reparlerons pas, trêve de couteau dans notre plaie encore fraiche) et, il faut reconnaître qu’elle semble aussi efficace que la précédente. À peine le temps de la brandir que voilà Raymons qui s’arrête. Sauf que selon lui, « nous ne sommes pas, mais alors pas du tout dans la bonne direction. » Il s’enquiert de nous trouver un meilleur spot.

Sandra-ESTSur la pancarte, cette dernière promesse « EST ». Comme l’est de l’Europe – qu’en trois ans, nous avons sillonné de fond en comble – mais surtout comme l’ESTonie, dernière étape avant Helsinki. Tout va tellement vite cette année que l’on a presque du mal à intégrer les changements de langues, de monnaie, de culture. Dans cet espace Shengen au sein duquel les frontières ne sont plus matérialisées, ce ne sont plus que nos conducteurs successifs qui, ambassadeurs de leurs pays, nous les font remarquer. Lire la suite

Espèce de Kaunas

Âmes sensibles, attention, nous vous invitons à ne pas aller au bout de cet article, qui comporte une scène insoutenable.

centre-europeTout a pourtant débuté sur les chapeaux de roues. En quittant la ferme, Michat et Waldek, nos premiers conducteurs du jour, nous ont offert une escale à Suchowola, ville supposée être l’exact centre géographique de l’Europe (information à prendre toutefois avec des pincettes puisqu’elles sont plusieurs bourgades à se disputer le titre). Mais faisons abstraction des querelles de voisinage. Pour l’heure, nous y sommes, en Europe. Au beau milieu exactement.

Mais pas du voyage… Puisque nous voyons la destination finale se rapprocher à toute allure. Le stop « marche bien ». Trop bien même… Nous avons souvent à peine le temps de poser nos sacs et de prendre en photo notre chère pancarte, qu’un camion s’arrête pour nous embarquer. Lire la suite

Bison futé et bonne étoile

Rarement notre bonne étoile n’aura été si étincelante. Elle s’était pourtant fait discrète ces jours-ci : tantôt réfrigérante lorsque que nous apprenons à l’accueil de l’hôstel « Oki Doki » de Varsovie que le prix des chambres est indexé sur le taux de remplissage – selon un système de cotation façon Wallstreet (plus ton dortoir est blindé, plus tu raques pour ton lit, logique…) – tantôt facétieuse quand elle nous pousse à prendre systématiquement les trams dans la mauvaise direction (nous en avons emprunté en une seul journée presque autant que de véhicules depuis le début de ce voyage) – chafouine, alors que nous parvenons enfin (après 38 trams) au musée de l’insurrection de Varsovie, le jour de sa fermeture (aux lecteurs qui souhaiteraient s’y rendre, c’est le mardi)…

aurelie-varsovie-bialystokÀ l’heure où nous avons quitté la ville cette fameuse étoile semblait même s’être totalement fait la malle derrière les nuages. La faute aux erreurs d’aiguillages et au musée fermé, nous étions en retard. La nuit n’allait pas tarder à tomber, tout comme l’orage qui menaçait.

C’est alors qu’elle a pointé le bout de sa queue de comète, penaude – regrettant probablement les quelques mauvais tours qu’elle venait de nous jouer ?

Car en plaçant Stanislav sur notre chemin, elle a fait d’une pierre deux coups.

Lui nous confie d’emblée qu’il culpabilise depuis 200 km de n’avoir pas vu à temps le précédent autostoppeur posté sous la pluie. Nous lui offrons donc la chance de se rattraper. Si ça peut soulager sa conscience, nous sommes doublement comblées. Lire la suite

War-shaw

« Varsovie est laide. Passez votre chemin, il n’y a rien à voir ».

carsovie-manhattanVoici ce que l’on nous avait maintes fois recommandé. Mais comme nous n’en faisons – toujours – qu’à nos têtes, nous avons tenu à en juger par nous même. Et grand bien nous en a pris. Car, si effectivement la capitale polonaise est plutôt austère à première vue, c’est toute l’histoire du pays qui est inscrite sur ses murs. Vieille ville, bâtiments hérités du communisme et constructions hyper modernes s’y toisent en chiens de faïence. Prise entre les feux des allemands et des russes, c’est l’une des villes ayant le plus souffert de la Seconde Guerre mondiale. 


vieille ville bdLorsqu’en août 1944, les résistants se sont soulevés contre l’occupant, il a fallu moins de deux mois à l’Allemagne nazie pour réduire leurs espoirs à néant et la cité en cendres. Cet été là, à l’instar du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, c’est la ville toute entière qui a tenté un sursaut héroïque. Suicidaire peut-être, mais pour que l’honneur (honneur dont le peuple polonais ne semble jamais s’être départi, ayant, même après la défaite initiale, refusé de signer l’armistice avec l’armée d’Hitler) demeure sauf.
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L’auberge polonaise

Ça commence comme ça. Dans un bar. Nous venons d’arriver – avec le concours de deux conducteurs : l’un dans une fourgonnette déglinguée, l’autre au volant d’une luxueuse berline. Le premier nous offre une glace et un litre de bière chacune. Le second nous dépose devant la porte de notre hôte BedyCassite et Cracovite. Ça commence bien.

Mais revenons au bar. C’est un bar ordinaire avec une terrasse animée et des musiciens en sueur dans leurs marcels. L’un de ceux qui animent les ruelles pavées de Kazimierz, le quartier juif où convergent chaque soir les fêtards de la ville. Dans ce bar comme dans tous les autres, on sert et on boit de la vodka. De toutes les couleurs et sous toutes ses formes.

Ça commence donc avec de la vodka. Ou presque… Car tandis qu’Aurélie se dandine au rythme d’un raga local endiablé, Sandra se charge de passer commande. Il n’y a pas de menu bilingue mais une ardoise en polonais. Elle pointe un doigt en direction du premier nom qui y figure et en a tend deux autres « two of this ». Elle qui aime les surprises ne va pas être déçue…

DSCF7241La serveuse porte un plateau mais nul verre à shot. Encore moins de vodka. Seulement deux grands bols. Pleins à ras bords. De cacahuètes… De quoi organiser une orgie, nourrir une armée de singes ou se faire plein de potes! Vous imaginez bien que nous tablons sur cette dernière option. Lire la suite

The place NOT to be

Amis Slovaques veuillez accepter par avance nos excuses pour cet article saturé de mauvaise foi, mauvaise humeur, mauvaises ondes… qui heurtera la sensibilité des plus jeunes et/ou patriotes d’entre vous.

  • Bardejov, 18h30 Nous débarquons avec une bruine aussi persistante que cette question « mais qu’est ce qu’on fout là ? ». Le ciel est gris, il fait presque nuit mais il n’y pas un chat (ni gris ni rien). La place centrale, dont les bâtiments aux façades colorées figurent parmi les incontournables, est absolument déserte.
  • Bardejov, 19h Nous errons parmi les ruelles attenantes en quête d’un hébergement. Les portes des deux premières auberges sont closes. Celle que nous parvenons à dénicher, un peu à l’écart du « centre » a le mérite – selon l’inscription qui figure à l’entrée – de posséder des chambres « avec vue sur les remparts ». Nous espérons y être accueillies à bras ouverts compte tenu de l’affluence en ville. Pas tout à fait… La réceptionniste daigne détourner les yeux de l’écran géant qui diffuse une version locale des « Feux de l’amour » pour consulter son carnet de réservation. Il lui faut cinq bonnes minutes pour nous confirmer qu’une chambre est disponible (à moins qu’une meute de japonais n’ait prévu de séjourner ici, nous aurions pu le lui certifier illico…).

Elle ne prend pas la peine de nous y conduire et préfère indiquer la direction de l’escalier d’un geste vague (il faut dire qu’à ce moment précis, Pamela déclarait sa flamme à Mickaël). Pour la vue sur les rempart, ils n’avaient pas menti – encore faut-il avoir une formation de contorsionniste pour en profiter. Les plus raides se contenteront d’admirer la devanture de la supérette d’en face (au rideau fermé, cela va sans dire).

  • fontaine-lumineuse-bardejov-slovaquieBardejov, 19h30. Bien décidées à « laisser sa chance » à la ville, nous nous équipons pour une promenade nocturne. Des trésors insoupçonnés nous attendent certainement quelque part. Notre impression initiale est hélas rapidement confortée (malgré la fontaine pyrotechnicolorée qui nous fait de l’œil.)
  • Bardejov, 20h. Nous comprenons que l’animation toute entière se concentre dans un seul troquet. Une poignée de jeunes y enchaînent les pintes entre deux parties de fléchettes.
  • Bardejov, 20h30. Fléchettes, donc (on tente de s’intégrer).
  • bardejov-flechettesBardejov, 21h00. Le capitaine de l’équipe de fléchettes, après nous avoir aidé à démarrer la partie, nous ignore. Nous l’avons déçu en n’atteignant pas les 501 points, on le craint.
  • Bardejov, 22h00 Le bar est quasi-vide. On se résout à rentrer à l’hôtel pour profiter de la vue de la chambre (il y a une promotion saucisses toute la semaine).
  • sandra-stop-pologneBardejov, 8h00 Nous n’avions jamais été si pressées de voir le soleil se lever, si promptes à boucler nos sacs et si matinales sur la route. Nous supplions presque les automobilistes de nous tirer de là. La Pologne, vite !

Amis slovaques, sans rancune ? Promis, on retournera voir à l’ouest si vous y êtes. 

Des eaux et des bas

bulgarie-debrecen-pancarteBienvenue dans le pays où les noms des villes ressemblent à des codes wifi et où seul un polytechnicien peut prétendre convertir de tête la monnaie locale (diviser 10960 par 264 pour obtenir le prix d’une chambre d’hôtel).

sandra-zoli-debrecen-hongrie

Nous y faisons la connaissance de Zoli, qui rêve d’être un grand voyageur mais n’a pas encore franchement l’âme d’un routard. Pour son premier séjour à Debrecen, il s’inquiète de ne pas trouver d’hébergement et supplie un ami de réserver à sa place. Il est très impressionné d’apprendre que nous nous allons dormir à l’auberge de jeunesse. Pour lui, c’est là le comble de l’exotisme. Il passe son temps à vérifier l’itinéraire et insiste pour que nous lui fournissions l’adresse précise (alors que l’auberge est située sur la place principale).

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Leçons de (bonne) conduite

Niko-Daniel-panticeu-debrecen

En voiture on apprend beaucoup! Entre Panticeu (Roumaine) et Debrecen (Hongrie), nous sortons notre carnet et prenons note de quelques leçons d’usage dispensées par nos conducteurs.

(Ne) finis (pas) ton assiette!

Et Grèce, nous avions commis moult impairs en dévorant nos plats jusqu’à la dernière miette. L’usage veut qu’on laisse un peu de nourriture afin de montrer que l’on a les moyens de l’abondance et que le repas était suffisamment copieux.
En Roumanie, chez Niko et Georges, le couple qui nous a extirpé de Panticeu et nous a invité dans la foulée à prendre le goûter, notre appétit est vu d’un bon oeil. Les biscuits sont succulents. Impossible de nous retenir de les engloutir, tous sans exception… Heureusement, pour eux, finir son assiette est signe l’on a apprécié le repas. Et tant mieux si on en redemande.
Ici la gourmandise n’est pas un vilain défaut.

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En ligne avec Allo la Planète (sur le Mouv’).

Le conducteur suivant hélas déguste plus qu’il ne savoure. Souffrant d’une rage de dent, baffrer lui est déconseillé. Tout comme parler… Ainsi, il ne décroche pas un mot durant les deux heures que durent le trajet et ne peut qu’approuver ou contester d’un hochement de tête.

Apprends le ni-oui ni-non.
Avec lui, un « oui » se fait comprendre d’un hochement de tête de bas en haut. Comme en France. Mais en Bulgarie, c’est l’inverse : inclinaison de gauche à droite pour acquiescer. Comme un notre « non », donc. En Grèce, c’est dans le lexique que ça se complique : « oui » se prononce « né » et « non » : « ochi ». En Bulgare, « né » c’est « non ». Quand un Grec et un Bulgare se rencontrent, vous imaginez donc le quiproquo…

frontiere-roumanie-bulgarie-aurelie-georgioFerme la porte (des toilettes) derrière toi.
Georgio, roumain résidant depuis 13 ans en Italie, a vraisemblablement emprunté beaucoup aux usages de son pays d’adoption. Un rien macho, s’exprimant de tout son corps, il refuse d’admettre qu’il s’est trompé de direction et accuse le GPS  d’être à l’origine de l’erreur et insulte le « stupido » appareil à coups de « Cazzo » retentissants.
Quand on lui demande de faire une pause aux toilettes, il ne manque pas de plaisanter sur les femmes (ces pisseuses) mais conscent  à s’arrêter à la station essence suivante. Les cabines ne ferment pas à clé. Nous le découvrons en tombant nez à nez avec une Mama accroupie. Comme en Grèce d’ailleurs, où bien souvent, aucun verrou n’est installé. Penser à frapper aux portes – et espérer que les autres en fassent autant…

Fortes de ces enseignements, c’est à la lisière de la Hongrie nous nous s’apprêtons à les mettre en pratique – en attendant les probables contre-exemples et exceptions (culturelles) à venir.

 

30.000.002 amis

panticeu-marc-roxanaRoxana et Marc ont tagué leur perron pour nous souhaiter la bienvenue. Elle Roumaine, lui Français, ont acheté et partiellement rénové ce que les villageois ont coutume d’appeler le « Castel », au centre du micro village de Darja aux fin fond de la campagne Transylvanienne. L’ancien manoir fut la demeure d’un baron hongrois, une poste sous l’ère communiste, une mairie, un bar clandestin… Avant d’être investit par ce couple singulier…

panticeu-transylvanieLui est venu en Roumanie monter une entreprise d’informatique. Roxana était l’une de ses employées. Ils sont tombés amoureux il y a neuf ans. Depuis, l’entreprise a fermé et Marc poursuit son activité en free-lance. Ensemble, ils souhaitent se lancer dans l’accueil des touristes (peu nombreux en ce presque-bout-du-monde). En vertu de notre partenariat avec BedyCasa, nous sommes parmi les premières à être hébergées dans leur chambre d’hôte.  

bouffe-mixLe moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils se plient en quatre pour nous recevoir. Marc concocte des plats aux petits oignons (confits) et fait du dressage sa priorité. On ne peut pas en dire autant pour ce qui est du dressage de la faune éclectique qui vit sous leur toit. 

Chats et chiens règnent ici en meute et sont traités en rois. Avec une autorité pas franchement «au poil», Roxana chouchoute ses petits protégés comme s’ils s’agissaient de ses enfants. Elle qui rêvait d’être vétérinaire brandit la cause animale en étendard. Nous pensons qu’elle plaisante lorsqu’elle nous prie de bien vouloir faire attention aux limaces dans l’herbe. « elles sont si inoffensives ». 

Quand, nous-mêmes amies des bestioles, lui avouons tuer un moustique de temps à autre (et uniquement en cas de légitime défense), elle rétorque que le combat est inégal. Leur piqûre n’est pas mortelle, certes. Mais de là à retenir nos gestes quand l’un de ces Dracula local se désaltère sur nos chevilles d’un cocktail sanguinolent…

Roxana-sisi-panticeuBrigitte Bardot ferait figure d’insensible notoire à coté de notre hôtesse, qui a les larmes aux yeux en nous racontant la récente campagne d’éradication des chiens errants à Bucarest. Nous nous retenons de lui raconter notre l’histoire de chauffeur équarrisseur bulgare


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Pour leur retour aux sources, Marc et Roxana se rendent chaque jour puiser l’eau de celle qu’il ont déniché à l’aide d’une baguette. Ils ne croisent que des charrettes tirés par des chevaux, se nourissent du bétail qu’élèvent les agriculteurs du coin et ont pour « spore » favori la chasse aux champignons… En guise de rite initiatique, ils nous conduisent à travers bois et partagent avec nous tout ce qu’ils savent des russules et autres bolets comestibles. 

Drum-bun-Bonne-route-roumain

Bonne route.

Accroupie dans la mousse, Roxana est aux anges. Elle hurle de joie en découvrant ses cèpes préférés. Plutôt timide et discrète au quotidien, elle se transfigure dans la nature. Dès que l’on aborde un sujet un peu personnel, elle se referme comme un coquillage. Mais dès qu’il s’agit de bêtes ou de plantes, elle est intarissable.

Un peu moins « trente millions d’amis » qu’eux, nous nous en serons au moins fait deux. 

Le poids (lourd) des rêves.

Personne ne part de Melnik. En tout cas aucune voiture. À l’heure de la sieste nationale, le moment est peut-être mal choisi. Alors on se poste à l’entrée du village où un platane de 800 ans nous procure un peu d’ombre et d’où l’on guette le vrombissement d’un moteur.

Celui de Sacho a l’avantage d’etre tellement tapageur qu’il est perceptible de loin. La conversation à bord atteint des sommets :

DSCF0481Son propriétaire nous sort de l’impasse – c’est le cas de le dire – en nous conduisant jusqu’à la Nationale, un peu plus fréquentée. À peine une minute plus tard, un camion ralentit à l’approche du zébra ou nous gesticulons, pancarte à la main…

Boban est serbe et rentre de Turquie, lourd d’un chargement de 35 tonnes de batteries. Le véhicule affiche 855.000 km au compteur et il compte bien dépasser le million avec lui.

Il caresse le volant en répétant : « ça, j’en rêvais enfant. Et maintenant je vis mon rêve tous les jours ». Son père était routier lui aussi. « Mais il n’avait qu’une camionnette. Moi je voyais plus grand. Je voulais conduire un 45 tonnes ! ».

sandra-boban-camionIl lui manque bon nombre de dents mais Boban sourit sans cesse de celles qui lui reste. Il est fan de Zaz et passe de la musique classique à fond bien qu’il s’en excuse « en principe les chauffeurs n’écoutent pas ça… ». Il fabrique ses cigarettes et en fume un kilo chaque semaine. Aurélie doit se sacrifier et en accepter une sur deux – question de diplomatie.

Sandra, elle, consent à se restaurer d’un café soluble (froid) et des biscuits (secs) qu’il lui tend. Nous héritons également d’un magnet d’Istanbul qu’il réservait pourtant à un ami. Nous tentons de refuser bien sûr mais Boban y tient. Il veut nous protéger, porter chance à notre aventure qu’il trouve « great but crazy » (un peu comme tout le monde en somme…). 

Aurélie-chapeau-camionNous aurions aussi aimé lui porter chance avec notre galet, mais vraisemblablement, ce dernier n’était pas suffisamment chargé de bonnes ondes… Vingt kilomètres avant Sofia, des flics nous font signe de nous garer. Boban prépare un billet de 20 lev (10 euros) « c’est toujours comme ça par ici. Il faut payer même quand on a rien fait de mal. Sinon, ils trouvent toujours le moyen de créer des problèmes… »

Les flics nous lancent des oeillades libidineuses tandis que Boban présente ses documents. Ils le somment de descendre du véhicule. Dix minutes plus tard, il revient nous dire de continuer la route sans lui. De son côté, les choses s’annoncent plus compliquées que prévu. « On peut aider ? Non, hélas… »

Nous demandons à l’un des policiers si l’on est autorisées à faire du stop ici, sur la bande d’arrêt d’urgence. « Oui. Et puis pour vous, n’importe qui s’arrêtera dans la minute » (cette phrase est assortie d’un clin d’œil dégueulasse). Le temps de tourner les talons, on l’entend hurler sur notre ami en bulgare.

Merci-Boban-Camion-sandra-sofia-melnikHorrible impression d’abandonner le navire en pleine tempête – bien que Boban fasse bonne figure, nous encourage à ne pas nous en faire pour lui… Nous ne pouvons alors que déposer discrètement un petit mot de remerciement sur son tableau de bord.

Nous nous sentons un peu coupables, privilégiées – d’autant que nous dormirons ce soir dans le luxueux « Kempinski Palace », où nous sommes invitées (pour la seconde fois) par notre ami Gerd, le manager – tandis que lui passera la nuit dans son camion (en espérant qu’il puisse reprendre le volant).

Nos rêves se croisent mais ne se ressemblent pas. Et pourtant, pour quelques instants, on se découvre plus de points communs qu’il n’y parait. 

Melnik sa mère !

Le « tourisme » vous l’aurez compris, c’est pas trop notre truc – nous qui passons plus de temps à courir les aires d’autoroutes que les musées, qui fréquentons davantage les banquettes arrières des camionettes que les fauteuils des tables étoilées.

Routard-TempêtePourtant cette année – alors que nous sommes pour la première fois associées au Routard, nous nous risquons à quelques recommandations façon guide de voyage afin de vous faire découvrir une destination « coup de cœur », découverte au hasard d’un coup de pouce : Melnik.

 

Et comme le suggère le titre de cet article, ça déchire sa race !!

  • Pourquoi ? – Intérêts

Balcon-antonia-MelnikAvec 175 habitants recensés en 2012, elle est officiellement la plus petite ville de Bulgarie. Vous avez donc de bonnes chances de croiser la totalité des âmes qui la peuplent en une seule journée (à noter que compte tenu de la moyenne d’âge de la population locale, ce chiffre est à diviser par deux chaque année…).

  • Comment ? – Accessibilité

Par la route pardis ! Pour ce qui nous concerne, ça va de soi. Celle qui y mène est minuscule et serpente sur le flanc d’une colline plantée de vignes centenaires. Au sommet se nichent quelques maisons éparses. Vous y êtes.

  • Où ? – Hébergement

Oubliez les hôtels kitchs qui bordent la rue principale (la seule en fait). C’est dans l’un d’eux que nous avons passé une première nuit (on dit bien passé, pas dormi) pour le moins humide… Car le système de climatisation judicieusement placé au dessus du lit s’est affolé autour de 3 heures du matin, déversant un torrent glacial sur nos corps alanguis (imaginez la douloureuse réminiscence lorsque Sandra s’est mise à hurler que l’eau s’infiltrait dans la chambre… – Cf Athènes-Helsinki).

Antonia-Vincy-hotel-melnikPréférez donc un hébergement à peine plus onéreux mais autrement plus authentique (et bien plus sec). Nous pourrions noircir cette page des seuls éloges que nous inspire Lumparov : une maison d’hôte entièrement restaurée avec goût, mais dont le charme vient surtout du couple qui nous y accueille. Antonia et Vinci, la cinquantaine, ont repris il y a quelques années la gestion de l’hôtel. Elle, auparavant prof de français, lui, douanier, ont tous deux perdu leur emploi à l’ouverture des frontières (notre langue étant, dans le même temps, passée de mode). Après 35 ans de mariage, ils ont donc quitté leur domicile de Petrich pour s’installer ici, cultiver le jardin, briquer la maison et chouchouter leurs invités. 

  • Quel ? – Restauration

Antonia-sandra-melnikAntonia aurait certainement remporté le « top chef » local si d’aventure elle s’était portée candidate (nous hésitons à l’y inscrire en cachette). Ses banitzas (gâteaux de fromage), petits pains et confitures maison concourent à faire de l’endroit un haut lieu de la gastronomie bulgare.

Partie en excursion, nous avons regretté de ne pas en avoir rempli nos sacs-à-dos. Après quatre heures de marche, nous avons dû nous contenter de la seule nourriture disponible dans cet environnement sauvage : des noix au miel vendues à la sauvette par un moine du coin. Un bocal géant mais ni pain, ni cuillère… Pour une dégustation façon épreuve de Koh Lanta (avez vous essayé d’attraper des noix sans les mains et sans vous changer en papier tue-mouches ?). 

Côté boisson, vous ne serez pas en reste. Les propriétaires possèdent également quelques hectares de vignoble dont ils tirent un nectar exquis : le Strymon – vous nous en donnerez des nouvelles (l’ayant un peu trop dégusté, nous avons tout oublié).

  • Quoi ? – Activités

sandra-rando-melnikS’ennivrer est bien sûr fortement préconisé – mais admettons qu’il s’agisse d’une option secondaire. Nous conseillons plutôt (ou avant, du moins) de transpirer un peu (et/ou prier si le cœur/le ciel vous en dit) en empruntant le chemin de randonnée qui suit le lit d’une rivière asséchée jusqu’à un point culminant où se dresse un somptueux monastère.

Attention, il est interdit de pénéter les voies du Seigneur en tenue «légère». Heureusement, ce dernier a pensé à tout (même aux marcheurs qui ont dû cuire au soleil pour l’approcher…) et des vêtement décents sont mis à disposition à l’entrée de l’église. Voyez plutôt comme nous sied la mode orthodoxe…

soeur-aurelie-melnikVous l’aurez compris, Melnik vaut le détour (et la Bulgarie tout entière nous donnerait presque envie de faire du – vrai – tourisme). Alors allez-y ! Une fois sur place, vous ne pourrez vous retenir de fredonner «Tu es la seule qui m’aille»*.

* référence musicale pointue échappant très probablement aux moins de vingt ans et plus de quarante. Cours de rattrapage ici.

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Alchimies

Thessalonique ne se lasse pas de nous séduire. Il y a deux ans, nous y avions séjourné en coup de vent et espérions bien y remettre une tong. Au pif – ou disons plus élégamment « à vue de nez » – nous errons parmi ses ruelles escarpées, sacs aux dos, à l’affut d’un souvenir qui nous permettrait de retomber sur notre auberge favorite. Nous avons oublié son nom, son adresse, mais par chance (ou intuition), nous retrouvons sa petite porte bleue, sur les hauteurs de la ville.

Souleymane-Sandra-Apolon-thessaloniqueLà-bas, nous croisons, pêle-mêle : un artiste de rue qui déplore que le street art soit devenu une mode plus qu’un art. Maelle, une militante alsacienne tombée amoureuse de la Grèce, qui a choisi de s’y établir et de soutenir des initiatives d’autogestion (notamment une clinique, en réponse à la crise du système de santé). Alex, un étudiant en médecine venu d’Australie pour exposer le résultat de ses travaux de recherche – il a prouvé que les centres d’analyse ADN à distance ne sont pas fiables (mais également un autostoppeur avéré qui jalouse le fait que nos pouces féminins sont bien plus efficaces que ses doigts velus). Et un boulanger albanais qui nous offre chaque matin une miche d’un pain à faire saliver les adeptes de nos Poilanes hexagonaux…

Avec toutes ces (belles) rencontres, notre stock de galets s’épuise à la vitesse de la lumière. Nous profitons des plages paradisiaques alentours pour nous réapprovisionner en cailloux quand, au retour de celle de Halkidiki les poches garnies des plus beaux spécimens, le destin place sur notre chemin un trio « d’hommes de pierre ». Une coïncidence qui ne nous laisse pas « de marbre » :

  • Aurelie-cabriolet-saikisD’abord Saïkis, qui admettons-le, n’a pas franchement d’autre choix que de nous convier à monter lorsque nous l’abordons à un feu rouge. Alors que nous errons depuis près d’une heure dans les faubourgs de Thessalonique, nous nous invitons presque d’autorité dans son cabriolet. Bien qu’il ne parle qu’un anglais approximatif, nous comprenons qu’il travaille dans un gisement d’extraction de minerai. Le caillou que nous lui confions n’a rien d’un métal précieux mais, selon ses propres termes, « il n’a pas de prix ».

  • Ioannis-Thessalonique-serresIoannis ensuite, qui lui aussi déterre les pierres mais ne s’intéresse qu’à celles vieilles de plus de 2000 ans. Ingénieur spécialiste des sites archéologiques, il a participé au chantier de restauration des ruines disséminées aux quatre coins du centre-ville, vestige de l’empire ottoman. Par ailleurs, il est l’un des rares chauffeur à nous confier qu’il s’arrête chaque fois qu’un autostoppeur croise son chemin – souvent contre l’avis de sa femme qui ne pense qu’aux dangers potentiel que cela représente. Dans notre cas, elle aurait sans doute moins redouté la présence d’armes que celle de deux étrangères en compagnie de son (charmant) mari.

  • Georges-Serres-MelnikNous surnommons rapidement notre dernier larron « Mr caillou », et pour cause : il est géologue. Aussi avons-nous la faveur exclusive d’un exposé en bonne et due forme sur les propriétés fascinantes des roches de la région – leur formation millénaire, leurs compositions granitiques ou calcaires, leur stratification en couches ordonnées… Mais l’érudition de Georges (son vrai nom) ne se borne pas à la science des rocs. Il se change volontiers en politologue, philosophe ou ethnologue, voire en avatar d’un Bernard Pivot francophone/phile lorsqu’il nous révèle l’origine des mots barbecue, baccalauréat, bordel… (Et vous, le savez-vous?)

Lorsque nous offrons à Georges son traditionnel galet, il précise que celui-ci est « ordinaire » tendance vulgaire, mais savions-nous (et vous?) que l’ordinaire peut se muer en extraordinaire en un simple changement de conditions ? Par exemple, les molécules de carbone dont on fait les mines des crayons sont identiques à celles du diamant – la différence d’évolution vient des conditions de pression auxquelles la matière est soumise. Afin que le charbon se change en un joyau étincelant, il n’y a donc qu’un pas. Ou un pouce ?

Aurelie-serres-thessalonique-e79En compagnie de ce trio de spécialistes, de ces hommes de pierres (précieuses) alchimistes des temps modernes, c’est le temps qui se change en or.

Et nous ne nous apercevons même pas que avons parcouru 300 km et franchi la frontière bulgare. Nos petits cailloux continuent à faire des étincelles. Blagodaria !