De la niche au palace

« C’est pas la Côte d’Azur, mais ça vaut le détour ». Suivant les bons conseils de Stéphanie (qui – contrairement à nous – possède un guide détaillé, ne rechigne pas à se lever à l’aube et a, de fait, une longueur d’avance sur les marmottes que nous sommes), nous faisons escale à Nis (prononcez niche – d’où la subtilité du titre).

Ici, contrairement à son presque homonyme provençal, pas de promenade des anglais, ni d’anglais tout court : la quatrième ville de Serbie n’a pas la faveur des étrangers. Elle recèle pourtant quelques curiosités qui valaient bien que nous lui consacrions une étape, et un article.

Tour crânesLa plus remarquable d’entre-elles est une « tour de crânes », érigée au début du XIXe siècle par les turcs afin d’épouvanter les envahisseurs potentiels. Le message a le mérite d’être clair : « si vous approchez trop on vous scalpe ». Originellement, l’édifice mesurait 30 mètre de haut. Aujourd’hui ne demeure que la portion inférieure.

La perpective de cette attraction aguiche nos instincts macabres. Hélas, on est lundi, et le lundi, en ce pays, est l’équivalent de nos dimanches. Nous demandons donc au gérant de la sympathique « guest-house » où nous avons trouvé refuge (dont on salue au passage l’accueil plus que l’originalité – celle-ci étant baptisée «Nis hostel»…) de vérifier pour nous que la construction est bien visible en ce day off. Confirmation obtenue, nous nous rendons sur place.

Sandra mini-vieilleA l’arrivée… La grille du parc est close et le lieu aussi dépeuplé que les plages de Fukushima. Incrédules (« ils nous avait bien assuré que c’était ouvert?»), nous contournons le bâtiment jusqu’à un guichet d’apparence fantomatique (ça cadre avec le thème…). À mieux y regarder, une femme à la physionomie néandertalienne – soit minuscule – s’affaire derrière un comptoir dont la vitre est baissée. Elle nous accueille tout sourire mais confirme la fermeture du monument. « Mais on nous avait dit… ». Elle ne parle pas un mot de franglais ni d’italmand mais sait se faire comprendre. Sur un morceau de papier, elle inscrit « 100$ ». Nous comprenons, qu’elle accepte de nous ouvrir les portes de l’enfer, mais que ça nous coutera un bras… (une nouvelle tour en construction?)

Après une succincte négociation, nous parvenons à obtenir un tarif dix fois inférieur pour cette entorse à la règle. Pour 10$ donc, nous pénétrons ce cimetière vertical et obtenons même une visite guidée en serbe! Bien que nous ne captions pas un mot de son discours, la mini-vieille s’avère être intarissable et, prenant volontiers la pose avec nous, elle nous offre une compagnie des plus insolites. Même les « vanités » nichées dans la roche millénaire semblent se fendre la poire !

Ensuite : visite du cimetière juif, des ruelles pavées de la vieille ville et dégustation d’un petit hamburger « Serbian’s cuisine », avant de repartir sur la route…. 

Pano famille

En l’occurrence, celle-ci promet un grand écart… Nous quittons la Serbie pour la Bulgarie d’une part, mais surtout un dortoir pour un palace…

Sandra SofiaSandra ayant animé une conférence auprès des managers du prestigieux groupe d’hôtels de luxe Kempinski, Gerd Ruge, le manager de celui de Sofia, nous invite à séjourner deux nuits dans l’une de ses suites !

Après ces nuits agitées, l’idée de ce havre de paix nous fait déjà ronronner de plaisir… Avouons tout de même être pour le moins mal à l’aise en entrant dans le lobby, notre attirail de traveleuses-teenagers sur le dos. Le bagagiste qui s’empare de nos sacs poussiéreux semble n’avoir jamais convoyé un tel accoutrement.

photo-2Lorsqu’il nous ouvre la «chambre» (surface additionnée de toutes celles occupées jusqu’alors + celle de nos appartement parisiens respectifs…), nous découvrons que, depuis ce quatorzième étage, chacune des fenêtres offre un panoramique à couper le souffle. Un festin de bienvenue nous kempinskiattend sur la table du salon. Chardonnay au frais, fromage, charcuterie et fruits enrobés chocolat… Merci Gerd, grâce à toi nous jouons à Cendrillon (minuit sonnera demain, lorsque nous reprendrons la route vers le nord…)


Aux mauvaises langues qui ne manqueront pas de déplorer l’embourgeoisement, nous répliquerons que – tel le caméléon – nous cultivons l’art du camouflage.

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(S)top chrono

Aurélie NisPressées de quitter Guca, nous ne prêtons pas attention aux visages, ni aux carrures XXL de nos nouveaux conducteurs… À la sortie du village, le 4×4 de Milan et Vidoje démarre en trombe. Une minute plus tard, nous réalisons que nous venons peut-être d’enfreindre la règle essentielle du stop : être regardantes et se fier à l’instinct. Sur ce coup-là, le nôtre est resté bouche cousue tant il cherchait à fuir les vuvuzelas… 

Les gaillards ne parlent ni anglais, ni allemand, ni aucun dialecte dont nous aurions quelques rudiments en commun. L’un d’entre eux possède pourtant un langage corporel tout à fait développé… À chacune de nos phrases, il baise goulument nos mains sous prétexte de les serrer, n’hésite pas non plus à caresser nos genoux depuis le siège avant…

A, M & Z - lunch5 kilomètres après le départ, constatant notre trouble latent, nos hôtes téléphonent à un ami anglophone, le priant de se faire l’interprète. Par son biais, nous comprenons qu’ils nous invitent à déjeuner chez des amis non loin de Cacak avant de nous conduire à l’autoroute (où chacun poursuivra sa route – eux vers Belgrade, nous vers Nis). Evidemment, nous refusons, prétextant un rendez-vous urgent avec une amie sur place. Déçus, ils appellent alors une nouvelle intermédiaire, une « cousine québécoise » – francophone donc. Celle-ci se veux rassurante (et l’est de fait), nous expliquant que ses amis sont réellement des hommes de confiance, qu’ils ne cherchent qu’à nous aider et qu’ils se réjouissent de nous faire découvrir les spécialités culinaires de la région.

Milan ZeljicoLorsque Milan se lève pour nous passer le combiné, nous réalisons qu’il est partiellement hémiplégique. La moitié de son corps (jambe et bras gauches) est invalide. Nous évitons le sujet, mais l’imposante cicatrice qui lacère l’arrière de son crâne laisse supposer qu’il a subit un grave accident. Son enthousiasme à partager ces instants avec nous (malgré sa trop grande « expressivité » physique) nous convainc de céder à l’invitation.

Après tout, nous faisons du stop par amour des déviations…

Il s’avère que nous ne le regrettons pas une seconde. Au cours du déjeuner où nous faisons la connaissance de leur sublime cousine Nastasia, nous passons d’un échange pour le moins rudimentaire, comme celui-ci :

… à une discussion sur la culture serbe en allemand (mais pas de film, puisque, de fait, c’est beaucoup moins drôle). 

NatasaNous dégustons ensemble un jaretina u sacu, succulent mijoté d’agneau – spécialité de la maison. Nos hôtes se plient en quatre pour nous satisfaire (de fait, leurs deux mètres respectifs semblent soudain moins impressionnants). Ce n’est qu’à 14 heures, détendues et repues, que nous reprenons la route (précisons que depuis notre point de départ, nous n’avons parcouru que 15 kilomètres…).

Milan étant manifestement amoureux de Sandra, nous profitons de la paralysie de son bras gauche pour mettre en place une stratégie de défense : cette dernière opte pour la place derrière son siège, tandis qu’Aurélie s’installe au centre. Car si elle le fait hurler de rire à la moindre phrase (dont il ne comprend pas un mot…), il saisit chaque occasion pour attraper la main (au mieux…) de Sandra pour la couvrir de baisers « amicaux » mais trop humides à son goût.

IMG_6742Le trajet commence à faire étrangement écho à celui de l’aller… puisque nos compères décident à peine une heure plus tard de nous arrêter sur le parking d’un hypermarché où travaille un autre cousin de Milan. Le parcours prend des allures de présentations officielles…

Malgré notre impatience grandissante, ils insistent pour nous offrir des sorbets saveur E315. En dépit de leur sincère amabilité, nous ne pouvons nous empêcher de trouver le temps long (il est 16 heures lorsque nous quittons la zone industrielle). Il faut dire que les conversations façon onomatopées épuisent à la longue. 

Mais lorsque le péage se profile, une larme en fait autant sur la joue de Milan.

Cet homme un peu bourru est touchant (dans tous les sens du terme), et, si nous sommes soulagées de prendre un peu d’air(e), nous avons malgré tout un petit pincement au coeur face à l’émotion qui s’empare de lui lorsque nous lui faisons nos adieux.

DraganPar chance, notre second et dernier conducteur de la journée est d’une nature disons… moins expansive. Pondéré, cultivé ET anglophone, Dragan est ingénieur en travaux publics. Il nous parle histoire et politique, ne nous caresse pas les genoux, mais tout de même – afin d’assurer la transition de cette journée « à l’oeil », nous offre une glace à la station essence avant de nous déposer aux pieds de notre auberge Nisoise.

Après de longues heures sur la route pour effectuer en tout et pour tout 200km, nous réalisons avoir fait plus de stops que d’autostop, et malgré tout, avoir trouvé ça (s)top ! 

Le prix à payer

guca sandraGuca… Ce nom ne vous dit peut-être rien – pas plus qu’à nous il y a un mois à peine – mais sachez qu’en Serbie tout le monde connait ce festival de trompettes. « Une institution depuis cinquante ans », « Le plus grand du monde », « l’essence de la musique serbe », « Le meilleur de la culture tsigane » sont les qualificatifs que nous avions entendus avant le départ (une connaissance de France nous l’avait si bien vendu que nous avions prévu notre itinéraire pour y parvenir à temps).

Et puis, récemment, nos amis de Belgrade nous avaient quelques peu refroidies. D’aucuns allant même jusqu’à parler de Guca comme d’un avant-goût de l’enfer. Nous ne les écoutions que d’une oreille, bien sûr – excitées que nous étions de découvrir ce petit village vibrant aux airs de Goran Bregovic.
Pano Guca

A l’arrivée, en lieu et place du fameux bourg de 5000 habitants à l’année, sont amassées 300 000 personnes. Si des fanfares gitanes animent effectivement les terrasses des restaurants, les disques de musique électronique des stands partenaires en font tout autant. Si des rondes de jeunes serbes se forment un peu partout, elles doivent enjamber les corps de ceux qui cuvent leur rasade du jour. Si les cuivres nous donnent la chair de poule, les vuvuzelas vendus à la sauvette ont tôt fait de couvrir leur musique.

Bien sûr, on ne veux pas généraliser et tout assombrir ainsi. D’ailleurs, pendant deux jours, nous nous acharnons à regarder le bon côté des choses. Le soir, dans le grand stade, des orchestres du pays concourent devant un public de fans. Toutes les générations chantent et dansent ensemble sur ces rythmes virtuoses. On rit aussi, souvent, en échangeant trois mots de serbe. Certains tentent de nous apprendre le Kolo (danse traditionnelle). Nous sommes surprises de constater combien ces airs rassemblent même – et surtout – les jeunes. Les musiciens sont époustouflants, c’est indéniable. 

cochons grilléssecurityMais à la seconde où l’on quitte le stade pour le centre-ville, entre les cochons qui rôtissent et les torses qui dégoulinent, la nausée nous reprend.
drapeauxIMG_6649Des types nous prennent par le cou ou par la taille (dans le meilleur des cas), soufflant au passage leur haleine chargée de Rakia.

Les rues sont tellement bondées qu’il nous faut près d’une demi-heure pour traverser l’artère principale et regagner notre chambre chez l’habitant – chambre dont, au passage, on avait oublié de nous préciser que le prix annoncé au téléphone était un prix « par personne » et non « par chambre ». Nous sommes deux et pour deux jours, passe encore, mais nos voisins de palier, des « fanfarons » franco-serbe (cinq enfants et quatre adultes), ont droit au même tarif alors qu’ils sont entassés dans une seule pièce..

Evidemment les habitants profitent du festival dont ils subissent l’affluence cinq jours par an. Mais de là à facturer un matelas au prix d’un hôtel parisien…

Statue trompetisteOn s’étonne à peine de voir les musiciens dormir à même le trottoir après les concerts – leurs frais n’étant pas pris en charge, ils vivent seulement de l’argent qu’on leur donne en échange de « prestations » (mini concerts privés aux tables des cafés). Ils partagent le bitume des ruelles les plus calmes (terme relatif ici) avec leurs instruments, entourés des cadavres de bouteilles et des presque-cadavres de ceux qui les ont descendues…


Après 48 heures et malgré quelques jolies rencontres (big-up à nos amis voyageurs à vélo s’ils passent par là entre deux montagnes), nous décidons d’écourter notre escale au réveil. Dans le jardin de la maison familiale où nous logeons, alors que d’autres « invités » sont attablés devant le petit-déjeuner, nous demandons s’il est possible de manger quelque chose. « Bien sûr, c’est douze euros ». Pour ce pays où l’hospitalité semble inscrite dans les gênes, c’est un comble… Mais tout se vend ici. Le moindre mètre carré habitable est loué. La famille franco-serbe finit par nous inviter à sa table (ces passionnés de culture gitane ont été la lumière de notre séjour) et nous repartons sur la route, plus tôt que nous ne l’avons jamais fait.

Il y a quelques dizaines d’années, Guca était, semble-t-il, un festival de musique.

Aurélie trompette

Pipo et trompettes

IMG_6579«Putain, il fait chaud aujourd’hui» Rituel quotidien, Sandra fait l’amer constat d’un mercure au sommet.
D’ordinaire, Aurélie trouve qu’elle exagère mais ce matin (ce midi… retard chronique oblige), elle corrobore ses propos : Belgrade est une étuve.

Il nous tarde de gagner Guca, une station d’altitude au sud du pays où les températures promettent d’être plus clémentes. Et puis surtout, il s’y déroule un festival de fanfare – dont nous vous réservons quelques nouvelles (caliente) dès ce soir.

IMG_6574Nous profitons de nos adieux avec Dunja pour la consulter sur la direction à suivre puisqu’elle n’est indiquée nulle part (avez-vous déjà cherché une pancarte Val d’Isère à Paris ?) et grimpons dans dans le premier tram semblant y conduire. Malheureusement, il bifurque et s’engouffre sur l’autoroute, dans le sens opposé….

Cette erreur d’aiguillage nous mène au beau milieu d’un embrouillamini de voies rapides nous rappelant quelques parties endiablées de « Mario Kart » (sur Super Nintendo hein, on est des vieilles… ). S’en extraire s’avère mission impossible.   Traverser, une mission suicide… Inutile de préciser que le soleil est toujours au beau fixe.

IMG_3709Vladimir qui passe par là prend pitié de nous « pauvres femmes au bord de la route et de la crise de nerfs » et nous dépose à l’entrée de l’autoroute pour Caçak (la ville la plus proche de Guca).

A partir de là, tout s’enchaîne très vite et nous sommes peu regardantes vis à vis du premier véhicule daignant s’arrêter. Au volant, un mini-monsieur un peu bossu, avec un jeune chauve pour copilote, tous deux parlant anglais aussi couramment que nous serbe. Le trajet va être long…

Après 20 minutes de route, les deux compères nous invitent à nous restaurer sur une aire de repos. Nous n’avons ni faim, ni soif mais comme ils ont l’air d’y tenir, nous cédons. La collation prend rapidement des allures de date à l’américaine (la classe en moins) et la conversation, celle d’une drague à peine voilée. « Et sinon nous on est célibataires et vous ? »

 Nous concoctons une réponse « actor studio » en trois actes :

  •  Sandra est guitariste fiancée à un pianiste
  • Aurélie va se marier en décembre avec un violoniste
  • Nous nous rendons à Guça pour y retrouver les producteurs de nos formations musicales respectives.

IMG_3711Leur ardeur momentanément calmée, nous reprenons la route – mais ils renouvellent leurs avances à l’aire de repos suivante. A l’Hippopotamus local, notre quatuor dénote – d’autant qu’un autocar plein à craquer de footballeurs locaux vient de débarquer. Nous ne pouvons retenir quelques oeillades (réciproques) en direction de ces athlétiques Apollons. Mauvaise pioche… À une minute près, leur bus se serait peut-être arrêté (mais vite, vite, oublions cette mauvaise pensée, souvenons-nous de nos maris musiciens). 

Goran et Zeljko nous rembarquent pour le dernier tiers du parcours. Manifestement heureux de notre présence, ils se retournent à maintes reprises pour nous prendre en photo, nous chanter des chansons…

Parvenus à destination, ils sont si protecteurs qu’ils tiennent à attendre avec nous la personne censée nous héberger. Nous sommes finalement presque tristes de les quitter (d’autant plus face au spectacle de ce qui semble nous attendre au festival…).

DSCF5712Mais dès le soir même, nous les recroisons par hasard dans la ville. Leur gentillesse désarmante nous fait presque culpabiliser de nos menus mensonges…

Après quelques bières partagées, nous poursuivrons nos routes respectives… En fanfare !

Belgrade jeu t’M

L’été dernier, à mi-chemin de notre parcours (Paris-Istanbul), nous avions retrouvé notre ami Bertrand Guillot, aux confins du Montenegro. Ce jour-là – le quatorzième donc – s’était distingué par une baisse de régime inhabituelle.

JouetsCette année, ni « BG » ni sentiment de « mi-temps » à l’horizon. Et une énergie plus que jamais débordante (l’habitude?). Pour fêter ça, nous consacrons au jeu (et au nous) cette dernière journée à Belgrade.

Jeu numéro 1 Poste stratégique
Partenaires : des fonctionnaires serbes.
Accessoires : une vingtaine de lettres comprenant des objets non-identifiés.

Comme promis à nos chers « Kisskissbankers », nous entreprenons d’expédier 18 galets souvenirs en remerciement de leur soutien. Un petit mot, des enveloppes multicolores, et à l’intérieur… nos mini-trésors.
A la poste, la guichetière, méfiante, secoue la première enveloppe :
– What’s in there ?
– Little stones…

Enveloppes timbréesL’employée incrédule ouvre le pli pour vérification. « It’s not possible to send this, you need to go to the customs ». À la douane pour des cailloux ?!! La femme nous redirige finalement vers la Poste principale. Afin de se « dédouaner » de toutes responsabilité… 15 minutes plus tard, même cirque à l’office central. « Je ne suis pas sûre que ça passera mais si vous y tenez vraiment, mettez-les dans la boîte. Si vous me les donnez, je serai obligée d’en référer aux autorités. OK, on prend nos responsabilités… Comme des trafiquantes de pierres (précieuses ?), nous glissons nos missives subversives dans la fente d’une vulgaire boîte. Vous parviendront-elles un jour ? C’est tout l’en-jeu…

Jeu numéro 2 – Fontaine de jouvence
Partenaire : une copine française baroudeuse pas poule mouillée pour un sou.
Accessoire : un bassin suffisamment propre, dans la ville.

Nous le répétons assez souvent ici : à l’est il fait (très) chaud. Refroidies par notre expérience de Novi Sad, nous nous hasardons à la baignade alternative dans les fontaines publiques… Belgrade en regorge et personne ne semble voir un quelconque inconvénient à nous voir y barboter. 

Sandra piscineSi nous savions mentir, nous prétendrions être dans un spa de luxe…

Mais comme ce n’est pas notre genre et que le ridicule ne tue toujours pas (sinon nous serions déjà 28 pieds sous terre), on avoue tout. Au milieu d’une fontaine de banlieue, avec Stéphanie, notre nouvelle copine autostoppeuse, nous n’avons pas résisté à faire un big-up à Joey (en robe de soie, soit…)

Jeu numéro 3 – Pierres à l’édifice
Partenaire : une autre Poucette, la seule capable de déceler la beauté d’un tas de gravillons.
Accessoires : un marqueur et une montagne de galets.

Montagne galets PPAlors que nous nous dirigeons vers la forteresse, nous devons nous pincer pour en croire nos yeux… Au détour d’une allée se dresse devant nous… une pyramide de galets! Un instant, on se demande si le jeu précédent n’a pas réellement eu notre peau… (Aurions-nous atteint le paradis des Poucettes – par inadvertance, au hasard d’un bain chloré nepije?) 

Jeu numéro 4 – Mus(é)e
Partenaire : un gardien serbe fan d’Edith Piaf.
Accessoire : un live de « La vie en rose ».

Vous le savez, nous sommes toutes disposées à élargir notre horizon historico-culturel. Mais comme à chaque fois que nous tentons de visiter un musée, celui-ci se révèle : soit inintelligible (ex : le musée militaire de Serbie dont 90% des panneaux ne sont pas traduits…), soit hors-sujet (l’histoire de la Hongrie à travers les arméniens et les poteries préhistoriques), soit fermé.

Aujourd’hui, nous nous rendons sur la tombe de Tito (chef vénéré de la Yougoslavie unifiée) et en profitons pour parcourir l’exposition supposée lui être consacrée… Au lieu de quoi, nous tombons sur des vitrines présentant une collection de vêtements traditionnels portés par les habitants des pays dits « non-alignés » – en référence au mouvement dont Tito fut l’instigateur. Nous passons brièvement devant les costumes boliviens, les armes éthiopiennes et les chaussons afghans… Mais restons une heure assises sur un banc, à l’entrée, avec Georges et Vladimir, les gardiens dudit musée, qui semblent inspirés par notre présence au point de revisiter une autre forme de danse traditionnelle…

Quant au cinquième jeu, nous nous y adonnons encore..

Dunja

Dunja, notre jeune hôte, après avoir partagé avec nous un succulent dîner dans un resto du centre, nous emmène retrouver ses amis. Ils ont entre 30 et 35 ans, sont médecins ou avocats mais boivent et rient comme des ados. Ils pensent qu’Aurélie a 18 ans (de fait, depuis que nous portons nos costumes de Poucettes le tarif étudiant nous est d’office appliqué). 


Bref. En ce quatorzième jour, comme presque tous les autres, nous cultivons la philosophie que Brel avait résumée en une phrase : être vieux sans être adultes…

Partisanes?

Ombres stop verticales«Désolées on ne monte qu’avec des femmes».

C’est la première fois depuis le départ que l’on utilise notre «parade sécuritaire». On a eu tort, peut-être – nous ne le saurons jamais – mais les deux premiers types qui s’arrêtent sur le bord de la nationale ralliant Novi Sad à Belgrade nous inspirent une répulsion épidermique (on se met en boule « Tu ne nous a pas vues. Non, non, la pancarte, c’est juste pour rigoler…»).

 S’ils n’avaient pas été à moitié nus, avec des bières entre les cuisses et un sourire libidineux, nous serions peut-être montées, mais là, nous avons préféré passer notre tour et attendre… cinq minutes de plus.

Bientôt – une fois notre étude sur échantillon subjectivement représentatif terminée – nous vous affirmerons sûrement que le stop est plus rapide que le train. Et surtout bien plus flexible! Tu te postes sur le bord de la route, à l’heure qui te convient (aucun retard possible), tu indiques ta destination et hop… Tu bénéficies d’un service sur-mesure. La LIBERTÉ on vous dit !

Et surtout (mais ça vous le savez déjà), ce moyen nous transporte entre les portières de mondes insoupçonnés. Ainsi en est-il de l’univers merveilleux des supporters de football, dont Dragan et Vladimir nous fournissent un aperçu grandiose.

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Dans sa vie ordinaire, à Novi Sad, Dragan est chauffeur de taxi et son ami est à la recherche d’en emploi de vendeur. Mais dans celle, extra-ordinaire, qui les conduit au stade de Belgrade pour assister au match des Partizan contre une équipe Bulgare (dont on a oublié le nom, évidemment, puisque nous sommes partisanes), ils sont SUPPORTERS.

Attention, pas supporters comme vous ou nous pourrions l’être du PSG ou de l’OM – vite fait, en regardant les matchs à la télé… – ces deux-là vivent Partizans,mangent, boivent Partizans, s’habillent Partizans et chantent Partizans. Pour preuve, voici la douce mélopée dont bruisse la sono :

Vladimir parle très bien anglais et tente de faire la conversation. En version traduite, cela donne peu ou prou :

– Qui est votre joueur préféré dans l’équipe de Serbie
– …
– Et Ljuboja, vous l’avez kiffé au PSG ?
– … Tiens, c’est Belgrade déjà ?
– Oui. C’est moche hein ? Nous, on vient juste pour le foot mais on déteste les mecs d’ici. Ils se la racontent parce qu’ils viennent de la capitale.
– Ah oui, on dit ça de Paris aussi… Et ils sont combien à vivre ici ?
– 2 millions en gros.
– Et dans le pays, il y a combien d’habitants ?
– 9 millions avec le Kosovo, 7 millions sans.
– Ah bon, vous comptez toujours le Kosovo…
– Le Kosovo sera toujours serbe.

S’enchaîne une discussion à bâtons rompus où en vrac, nos footeux affirment «qu’il y a trop d’Algériens en France », « Qu’ils n’aiment pas les gays » et que « les nouveaux policiers serbes sont des tapettes ».

Il reste quarante kilomètres, on craint l’impasse – voire pire – mais heureusement, l’hymne des Partizans retenti à nouveau dans l’habitacle de la Renaud Mégane. Le foot, finalement, c’est très bien comme sujet, ça rassemble.

Dragan nous dépose au pied de l’appartement de Dunja (notre nouvelle hôte). Pour le remercier, on lui laisse un galet (et un autre à Vladimir, pour porter chance à l’équipe, ce soir). Ils n’auront hélas pas suffit puisqu’à 23h, le résultat tombe : la Bulgarie l’emporte 1 – 0…

Pano Novi Sad

Novi (pas) Sad

WesternPanique ce matin en quittant Kesckemèt : devons-nous revêtir nos anoraks pour parer au choc thermique qui menace en sortant de notre Szauna hôtel ? À peine le nez dehors (et notre maison sur le dos), nous voici rassurées : le thermomètre affiche toujours 40° et, comme à l’accoutumée, nous partons à midi – horaire     I-DÉ-AL pour ne pas risquer un coup de froid. Le « spot » préconisé par le réceptionniste de l’hôtel est à une bonne heure de marche de l’établissement, mais nous ne pressons pas le pas. Les artères sont désertes – toute la ville semble être rassemblée au « air-show » – et nous nous apprêtons à prendre notre mal en patience.

Mine galetArrêt réassort de galets dans une mine à ciel ouvert, poses façon western devant une quincaillerie délabrée…

SzegedAffairées à nos activités (on est surbookées, voyez-vous), nous ne prenons pas même le temps d’inscrire le nom de notre destination finale « Novi Sad » au verso de la pancarte – lui préférant celui d’un objectif plus raisonnable, «Szeged », situé à mi-chemin. Compte tenu du trafic en ce dimanche d’août, nous serions prêtes à nous y rendre en carrioles, seuls véhicules manifestement en circulation…

Soudain, deux berlines immatriculées aux US surgissant de nulle-part se rangent près de nous. A leurs bords, une famille au complet – père et fils (au pluriel) d’une part, mère de l’autre. Croyez-le ou non, ils se rendent à Novi Sad. Inespéré!

FamilleTout semble simple comme Dobar dan (= bonjour serbo-croate) avec cette famille hongro-germano-russo-américaine… Du moins jusqu’au passage de frontière qui, pour la première fois depuis notre départ, s’avère être une gageure. A l’approche du poste de douane hongro-serbe, une file ininterrompue de véhicules à l’arrêt, nous laisse supposer que nous aurons tout le temps de faire connaissance… 

Après deux heures plaque contre plaque, nous pénétrons enfin le territoire serbe. Ce pays est celui que nous attendions le plus cette année. Sans nous l’expliquer, nous ressentons une euphorie telle qu’elle nécessite une petite douche froide. En l’occurrence un bain, dans le Danube. 

(Ah… elle voulait dire ça cette absconse pancarte…)

Revigorées, nous entreprenons dès le lendemain d’explorer le massif montagneux surplombant la ville – réputé pour les 21 monastères qui y sont disséminés. Un peu d’orthodoxie en plein air nous fera le plus grand bien. D’autant que l’on nous a certifié la présence d’un lac où nous pourrons à loisir compenser nos frustrations fluviales.

Pancartes serbe

Sur les conseils – en serbe – de la jeune femme de l’auberge, nous empruntons le bus 76 jusqu’au terminus. Là, nulle trace d’un quelconque monastère, mais quelques pictogrammes sur un plan équivoque semblent nous indiquer la marche à suivre. 


Sur les arbres, nouveau signe, plus évident et au combien séduisant : des petits coeurs peints sur les troncs. Nous les traquons consciencieusement pendant trois heures à travers cette « forêt de l’amour », sans croiser l’ombre d’un clocher… Aucun point d’eau non plus… Nos gourdes sont à sec (mais pas nos discussions, ce qui aggrave le problème). Enfin, eurêka, on tombe sur le « refuge des randonneurs » Malheureusement…

RestoranDépitées face à ce mince filet d’eau croupie (parfum jus de crevette), nous plaçons tous nos espoirs dans l’enseigne «restoran» entrevue entre deux mélèzes. Hélas, à mesure que nous nous en approchons, surgit l’évidence : le bâtiment n’est plus qu’un tas de ruines, et s’il nous permet une exploration tout à fait ludique, il ne résout en rien le problème de la déshydratation qui nous gagne.

En désespoir de cause, nous décidons d’en appeler à la générosité des habitants du hameau en contrebas. Approchant du premier portail non gardé par un molosse, nous n’en espérions pas tant…

Bozo et Bilana nous ouvrent leur porte comme si nous étions leurs filles. Ce couple de retraités nous fait faire le tour du propriétaire avant de sortir tout ce leur réfrigérateur compte de victuailles et boissons fraiches.

Notre maîtrise du serbe étant encore un brin limite (dur de rebondir sur « merci » « ça va » et « magnifique »),  nous échangeons dans un allemand revisité (si notre prof de terminale passait par là, elle ne nous le pardonnerait pas).

Nos organismes ressuscités, il est temps de reprendre la piste.
 Toujours pas de monastères, mais des petits coeurs partout – et le nôtre, gonflé à bloc !

Coeur arbre