Le juste prix

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Aurélie à la sortie de Vidien (Bulgarie), en route pour Timisoara (Roumanie).

Bobislav s’apprête à passer le Danube, frontière naturelle entre la Bulgarie et la Roumanie lorsqu’il aperçoit nos pouces à l’entrée du pont. À bord d’une camionnette tractant une remorque vide, il file (à 50 kilomètres/heure) en direction de l’Allemagne, où il prévoit d’acheter une voiture d’occasion. 


950 euros pour une Golf diesel modèle 1999. Il lui faudra cinq jours et 3000 kilomètres pour la rapatrier en Bulgarie. Un aller-retour qui lui coutera 350 euros de carburant. Il la revendra environ 1500 euros pour un bénéfice net de 200. Dans dix jours, il renouvellera l’opération avec une Ford.

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Un « leu », des « lei », la monnaie locale en Roumanie. Il en faut 4,3 en 214 pour obtenir 1€

« C’est la crise ici, il n’y a pas de travail. Alors je me débrouille comme je peux ». Déformation professionnelle – ou contextuelle – oblige, Bobby passe les quatre heures de notre transport en commun à jouer à « Combien ça coute ? ». Combien tu gagnes ? Le prix de ton loyer ? Le pain en France ? Une bière ? L’achat d’un appartement ? « Et en location ? » « Et ta caméra là, elle vaut combien ? »

Le niveau de vie en France est plus élevé, certes mais tout de même… Comment justifier qu’un seul de nos appareils photos vaille deux fois son salaire mensuel ?

Paradoxalement, il refuse avec véhémence le billet de 10 lev (5 €) que nous lui offrons – non pas en échange de la course mais parce qu’il sera inutile en Roumanie.

sandra-café-autorouteIl finit par céder bon gré mal gré avant de nous déposer (généreusement) en centre-ville de Timisoara. Après quatre heures passées dans son véhicule, nous avons les jambes qui fourmillent. Lui poursuivra sa route six heures encore. Ou plus, peu importe, il « ne compte même plus ».

S’il était né ailleurs, serait-il de ceux que François et Ludovic auraient interviewé pour leur Projet W ? Ces globetrotteurs professionnels avec qui nous partageons le dortoir de notre auberge de jeunesse font le tour du monde pour réaliser des portraits d’entrepreneurs français oeuvrant pour une économie plus sociale et solidaire. Avec eux, l’affinité est immédiate.

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Aurélie Streiff & Sandra Reinflet avec François Noël & Ludovic Novitch au Freeborn Hostel de Timisoara

Dans le jardinet du « Freeborn hostel », peuplé ce soir là d’un duo d’australiens, d’un roumain, d’une belgo-finlandaise, d’un germano-américain et d’un polonais contorsionniste, nous passons une nuit électrique entre coupe du monde, shot de Palinka et causeries enflammées. Et ça, ça n’a pas de prix. 

La suite et ainsi de suite

Comme l’an dernier, notre ami Gerd, directeur du Kempinski de Sofia nous a offert une étape dans son hôtel plein d’étoiles. Cette pause de 24 heures nous a permis de poster :
1- le clip de La routine, l’hymne des Poucettes
2- les galets promis à nos chers Kisskissbankers. 

sandra-stop-vidin-sofiaEt puis, ce matin, comme l’an passé, le chauffeur du palace nous a déposé l’air effaré sur une station service à la sortie de la ville. Objectif Craiova en Roumanie de l’autre côté du Danube, frontière naturelle entre les deux pays.

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Très vite, un couple propose de nous conduire à Montana, à mi-chemin. Kremena et Kirio vont y chercher leurs enfants restés en vacances chez des parents.

La trentaine, ils travaillent tous deux dans la banque. Lui vient d’apprendre son licenciement, car celle pour laquelle il officie pour 200€ par mois a fait banqueroute – l’épargne des clients est garantie jusqu’à 100 000€ mais il n’en est rien de l’emploi des salariés (ni du revenu des chômeurs…).

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Ils débordent d’enthousiasme. Elle, surtout – qui semble ravie de nous faire découvrir sa passion pour le canevas. Avec moult détails techniques, elle tente de nous convertir à sa pratique (on lui avoue que c’est peine perdue?)

À la question « Vous connaissez Belogradchik ? », ils sont sidérés de notre réponse… négative. S’engage entre eux un conciliabule.

Nous comprenons à demi-mot qu’ils refusent de nous laisser quitter le territoire bulgare sans palier cette lacune. Alors c’est décidé, on y va. Et tant pis pour les 80 km de rab. Les enfants attendront. Craiova aussi.

Lorsque nous parvenons aux portes de ce site naturel inscrit au patrimoine mondial par l’Unesco, nous restons simplement bouches bées. Et ceux qui nous connaissent savent qu’ils est plus facile de faire sourire un russe que de nous clouer le bec.

Ces quelques images parlerons pour nous.

Faute de temps, nous remettons la Roumanie à demain et passons la nuit sur la rive sud du Danube.

Tel un écho à la mélodie du pouce… Qui a dit « Je dévie donc je suis » ? 

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Le poids (lourd) des rêves.

Personne ne part de Melnik. En tout cas aucune voiture. À l’heure de la sieste nationale, le moment est peut-être mal choisi. Alors on se poste à l’entrée du village où un platane de 800 ans nous procure un peu d’ombre et d’où l’on guette le vrombissement d’un moteur.

Celui de Sacho a l’avantage d’etre tellement tapageur qu’il est perceptible de loin. La conversation à bord atteint des sommets :

DSCF0481Son propriétaire nous sort de l’impasse – c’est le cas de le dire – en nous conduisant jusqu’à la Nationale, un peu plus fréquentée. À peine une minute plus tard, un camion ralentit à l’approche du zébra ou nous gesticulons, pancarte à la main…

Boban est serbe et rentre de Turquie, lourd d’un chargement de 35 tonnes de batteries. Le véhicule affiche 855.000 km au compteur et il compte bien dépasser le million avec lui.

Il caresse le volant en répétant : « ça, j’en rêvais enfant. Et maintenant je vis mon rêve tous les jours ». Son père était routier lui aussi. « Mais il n’avait qu’une camionnette. Moi je voyais plus grand. Je voulais conduire un 45 tonnes ! ».

sandra-boban-camionIl lui manque bon nombre de dents mais Boban sourit sans cesse de celles qui lui reste. Il est fan de Zaz et passe de la musique classique à fond bien qu’il s’en excuse « en principe les chauffeurs n’écoutent pas ça… ». Il fabrique ses cigarettes et en fume un kilo chaque semaine. Aurélie doit se sacrifier et en accepter une sur deux – question de diplomatie.

Sandra, elle, consent à se restaurer d’un café soluble (froid) et des biscuits (secs) qu’il lui tend. Nous héritons également d’un magnet d’Istanbul qu’il réservait pourtant à un ami. Nous tentons de refuser bien sûr mais Boban y tient. Il veut nous protéger, porter chance à notre aventure qu’il trouve « great but crazy » (un peu comme tout le monde en somme…). 

Aurélie-chapeau-camionNous aurions aussi aimé lui porter chance avec notre galet, mais vraisemblablement, ce dernier n’était pas suffisamment chargé de bonnes ondes… Vingt kilomètres avant Sofia, des flics nous font signe de nous garer. Boban prépare un billet de 20 lev (10 euros) « c’est toujours comme ça par ici. Il faut payer même quand on a rien fait de mal. Sinon, ils trouvent toujours le moyen de créer des problèmes… »

Les flics nous lancent des oeillades libidineuses tandis que Boban présente ses documents. Ils le somment de descendre du véhicule. Dix minutes plus tard, il revient nous dire de continuer la route sans lui. De son côté, les choses s’annoncent plus compliquées que prévu. « On peut aider ? Non, hélas… »

Nous demandons à l’un des policiers si l’on est autorisées à faire du stop ici, sur la bande d’arrêt d’urgence. « Oui. Et puis pour vous, n’importe qui s’arrêtera dans la minute » (cette phrase est assortie d’un clin d’œil dégueulasse). Le temps de tourner les talons, on l’entend hurler sur notre ami en bulgare.

Merci-Boban-Camion-sandra-sofia-melnikHorrible impression d’abandonner le navire en pleine tempête – bien que Boban fasse bonne figure, nous encourage à ne pas nous en faire pour lui… Nous ne pouvons alors que déposer discrètement un petit mot de remerciement sur son tableau de bord.

Nous nous sentons un peu coupables, privilégiées – d’autant que nous dormirons ce soir dans le luxueux « Kempinski Palace », où nous sommes invitées (pour la seconde fois) par notre ami Gerd, le manager – tandis que lui passera la nuit dans son camion (en espérant qu’il puisse reprendre le volant).

Nos rêves se croisent mais ne se ressemblent pas. Et pourtant, pour quelques instants, on se découvre plus de points communs qu’il n’y parait. 

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« Comment dit-on éolienne en anglais ? »

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Lonel l’ignore., bien qu’avec son frère Lucian, il ait participé à la construction de la seconde plus grande ferme éolienne d’Europe. Dans sa voiture, la cinquième depuis ce matin, on file comme le vent qui souffle dru dans la région. À 150 sur la nationale, même pas peur ! C’est que le type est un pilote.

 Nous ne pensions pas y arriver…

Ce matin, quitter notre « Mamie » bulgare a été un déchirement. Et puis, la plage de sable fin, le soleil enjoué, la mer noire si bleue et les « tsatsas » (fritures de petits poissons) semblaient s’être ligués pour nous retenir.

IMG_6997Que les sceptiques soient assurés que nous ne manquons pourtant pas de nous lever tous les matins à l’aube (après ces 28 jours, il nous en faudrait au moins autant pour récupérer, mais comme disait l’autre… « on dormira quand on sera mortes »).


Ce n’est donc qu’à 14h que nous avons quitté Varna.
Objectif : Roumanie.

IMG_4082Comme nous l’avions avoué dans notre tout premier article 2013, nous savions à peine où se situait Odessa lorsque nous l’avions élue destination de notre second périple. Et, plus nous en approchons, plus nous réalisons combien ce choix – peu stratégique – nous complique l’existence. Pour y parvenir, en moins de trois jours maintenant, il nous faut traverser la frontière Bulgare, puis la Roumaine, la Moldave et enfin l’Ukrainienne. Plus le choix donc : il faut lancer le sprint final.


IMG_6989Nous croyions moyennement en notre capacité à atteindre le delta du Danube avant la nuit (450 km plus loin, à l’extrême nord-est du pays).

Et notre départ pas franchement en flèche conforte le doute : trois véhicules en deux heures pour parcourir les 60 premiers kilomètres. Et puis, alors que nous revoyions nos ambitions du jour à la baisse, Andreea et Marius se sont arrêtés, sans même lire la destination inscrite sur notre pancarte.

– On voudrait traverser la frontière roumaine.
– On peut vous conduire jusqu’à Constanta… 

IMG_4094D’autant plus prodigieux qu’il prévoient de faire halte à Vama Veche, le village hippie où nous aurions aimé passer la nuit si nous en avions eu le temps. Un verre, huit pieds dans l’eau, juste le temps de se dire que l’on se serait senties bien sur les hamacs de cette terrasse. Ce voyage est un avant goût de tous les suivants…

 Dimanche, 19h, retour de week-end, embouteillages en direction de Bucarest… (les Roumains semblent trouver, comme nous, que les côtes Bulgares sont les plus belles).

Le trafic est dense mais nos nouveaux amis – bien qu’à 250 km de chez eux – n’hésitent pas à faire un détour invraisemblable pour nous laisser en lieu sûr, une charmante station aux abords du port de Constanta…

Il nous reste encore plus d’une centaine de kilomètres à parcourir tandis que que le soleil commence à rougir… On craint d’enfreindre notre règle (jamais de stop la nuit tombée) mais Lonel et Lucian nous aident à relever le défi. A les entendre, ils nous « sauvent la vie » (Eh oui, les statistiques sont formelles. Selon eux, nous avions 65% de chance de tomber sur un criminel. La survie ici, c’est précis).

Dans leur voiture, le vent s’engouffre par les fenêtres et la musique, à fond, s’en échappe. Nous nous faufilons entre les charrettes, doublons tout le monde en une course folle que rien ne ralentit.

IMG_7041Vingt kilomètres avant Tulcea, ils nous indiquent l’hôtel où ils logent pendant les six mois que dure leur nouveau chantier. « On va tout de même vous accompagner en ville. Vous pourriez avoir besoin de traducteurs pour trouver une chambre ». Nos « bâtisseurs de turbines » ont sacrément contribué à rendre possible notre pari du jour. Nous ne savons pas s’ils ont réellement compris ce que nous faisions là, l’histoire du Petit Poucet et tout notre tintouin, mais grâce à eux, on approche du but… Lucian baisse soudain la musique :

« Wind flower, on dit wind flower ! »

IMG_4115Le lendemain matin, nous tombons littéralement en amour avec Sulina, un village au confluent du Danube et de la mer Noire. Ses plages de sable noir, son ciel constellés d’oiseaux migrateurs et ses quadrillages de canaux sont notre Ohrid 2013. Il faut vraiment partir, si vite ? Odessa, pourquoi déjà ?

Alors que l’on se demande si l’on reste, que l’on tire à pile ou face en dégustant nos poissons grillés, une chanteuse folk entonne : « the answer my friend, is blowing in the wind, the answer is blowing in the wind ».

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D’autres vies que les nôtres

creativiteA Veliko Tarnavo, on pourrait retaper cette vieille bâtisse au pied de la Trapesista… Ce serait parfait. Il y a tout ici : la montagne, des rivières, un lac, des vieilles pierres qui racontent des histoires… On pourrait y monter un centre de créativité, avec des ateliers d’écriture, de théâtre, de musique ou de peinture… Dans cette verrière, juste là, on organiserait des représentations et des expos. On aurait un potager et une plage privée. On pourrait, oui (et pour le prix d’achat de notre salle de bain parisienne), si nous choisissions une vie sédentaire.

IMG_6937A quoi aurait-elle ressemblé, cette vie, si nous étions nées filles de Iliya, natif bulgare expatrié en France qui nous aide à quitter le centre-ville? Sûr que s’il avait été notre géniteur, nous aurions adoré partager sa vie, à cheval entre la Bulgarie et la France (depuis douze ans, Iliya travaille dans le bâtiment, en région parisienne, et il profite de l’été pour revenir aux sources) mais pour sûr, nous aurions eu plus de peine à partir en stop – il profite d’une pause café pour nous prodiguer ses conseils pour la route : seulement faire du stop dans les stations vidéo-surveillées, prendre en photo la plaque de chaque voiture dans laquelle nous montons… Lorsqu’il appelle sa fille pour que nous lui parlions en français, nous sentons bien qu’il entretient ce même rapport protecteur avec elle. Il nous dépose ensuite sur la route (dans le mauvais sens mais sur une station – condition sine qua non, donc), et ne consent à nous y laisser qu’après s’être longuement entretenu avec le pompiste à notre sujet. Il envisage même d’attendre avec nous, débordant d’attentions, et manifestement inquiet de nous laisser là. Il paraît que si nous avons un jour des enfants, nous comprendrons…

Cette fois en tout cas, Iliya ne se serait pas rongé les sangs trop longtemps puisque Vanseslav nous embarque en moins de trois minutes à l’avant da sa fourgonnette. Nous rejouons la scène du guide de conversation pour nous faire comprendre. Avec les mains et quelques dessins pour éclaircir le débat car notre ami est très loquace.

Épuisés par la richesse de nos échanges, nous faisons escale à une station essence.

Sandra : Tiens, ça sent le Burger King de Manille.
Aurélie : Moi je trouve que ça sent plutôt le cadavre…

Lors que Vanseslav rapplique, on lui demande : « qu’est-ce que tu transportes dans ta benne ? Fruits? Légumes? Matériel?… »
Il répond en mimant : des chiens morts (on le croit sur parole vu l’odeur qui émane du chargement).
Imaginez plutôt ce que contiennent les hamburgers aux Philippines…
Il nous dit que nous sommes très jolies. On se figure un instant à quoi ressemblerait notre quotidien, si on le partageait avec cet équarrisseur au grand coeur… 

oulian et annieDernier arrêt. A 90 kilomètres de Varna. Temps d’attente : moins d’une minute, avant avant qu’un couple ne nous invite à monter. Youlian et Annie ont une quarantaine d’année. Ils sont cultivés, parlent anglais, prennent systématiquement des autostoppeurs, quels qu’ils soient… Avec eux, nous abordons le sujet des manifestations qui secouent le pays depuis plusieurs mois. D’abord à l’initiative des plus pauvres (descendus dans la rue cet hiver lorsque le prix de l’électricité a été multiplié par IMG_4043trois) le mouvement de protestation est aujourd’hui repris par l’intelligentsia. En vrac, on reproche au gouvernement la corruption, les promesses non tenues d’un parti « communiste » plus à droite que l’extrême droite, la nomination au poste de ministre d’un mafieux avéré… Quelle joie de pouvoir échanger sur des sujets plus « profonds » que ceux proposés par le guide de conversation…

Le soir même, nous recevons un message de leur fils, Georgi. Il a découvert notre site, veut nous rencontrer. Une bière et une lanterne lancée à la mer et il devient notre meilleur Lanterneami. Les chats ne font pas des chiens (big up à Vanseslav). À 17 ans, Georgi est d’une sensibilité, d’une intelligence et d’une maturité à peine croyables. Il nous fait visiter la ville, nous joue de la guitare, et nous offre des petits cadeaux, pour nous porter bonheur.

Avec douze ans de moins, on aurait pu être ses soeurs, voire même ses petites amies (mais à l’époque, on avait pas encore inventé d’hommes comme ça).

MamieEnfin, à Varna (notre ville d’arrivée sur la côte – la mer Noire enfin !) une grand-mère de 90 ans passés nous propose une chambre. De prime abord elle nous demande : « vous aimez les communistes? Parce que moi je les hais. Ils ont décimé ma famille ».
Elle marche à deux à l’heure, comme pour savourer ces pas avec nous qui n’en pouvons plus. Mais le poids de nos sac, il pèse combien par rapport à celui de ses souvenirs?

Lorsqu’elle ouvre la chambre à la tapisserie fleurie et à la décoration «renaissance», elle nous dit « je suis contente que vous soyez-là, parce que vous pourriez être mes petites filles ».

Mamie and SandyOn pourrait, c’est vrai. Et, lorsqu’elle se met à chanter avec Sandra en chuchotant « je voudrais mourir comme ça, en musique », qu’elle pleure dans les bras d’Aurélie l’assassinat de ses parents, puis qu’elle nous fait rire en improvisant une visite guidée de la chambre, on se dit même que ça nous plairait bien.

Mais au fond, juste là, maintenant, nous ne voudrions aucune autre vie que la nôtre. Parce que, grâce à elle, nous pouvons imaginer toutes les autres.

Yaourt bulgare

NDLR : parler le yaourt est une technique qui consiste à produire des sons, des onomatopées ou des syllabes qui font penser qu’il s’agit d’une langue réelle.
Ceci, couplé à une méconnaissance totale de l’anglais (pour la plupart de nos interlocuteurs) produit fréquemment des échanges de ce type:

– « What is it ? »
– « Yes… »

– « Where is the center ? »
– « No… »

Voici quelques exemples des dialogues de sourds qui font notre quotidien depuis que nous arpentons les routes de l’Est. Sourdes mais pas muettes, nous nous acharnons à communiquer en toutes circonstances.

IMG_6875Pas de problème avec le concierge de l’hôtel Kempinski de Sofia, qui – clientèle internationale oblige – parle au bas mots douze langues, y compris un français académique. Il nous concocte un itinéraire et insiste pour nous que nous nous fassions conduire par l’un de ses chauffeurs en voiture de luxe (« si c’est gratuit on a le droit non ? »). Malgré tout, nous lui préférons la promenade pédestre (nous savons rester simples voyez-vous 😉

IMG_3887Nous sommes d’ailleurs très agréablement surprises par cette visite de la capitale (dont on nous avait dit le plus grand mal et qui, contre toute attente, recèle un centre-ville parsemé de vieilles églises, ruines turques et  monuments à couper le souffle). Seule ombre au tableau, l’accès aux fontaines y est désespérément interdit. 

Les choses se corsent lorsque nous pénétrons le camion-citerne de Stephen. Le chauffeur poids-lourd a beau y mettre beaucoup bonne volonté, la « communicamion » entre nous est pour le moins hasardeuse. Voyez plutôt…

(Notez la très réussie tentative de « parler-bulgare » d’Aurélie).

IMG_6887Le second chauffeur du jour maîtrise un anglais correct mais  parle surtout couramment espagnol, ayant vécu et travaillé un temps le long de la Costa Brava. Nos palais quasi-serbes permutent sans mal vers la langue de Cervantez (ou Dali, ou Nadal, ou Almodovar – selon affinités électives).


IMG_6895Le dernier chauffeur, qui assure la dernière portion de trajet jusqu’à Veliko Tarnavo n’aime quant à lui tout bonnement pas parler. Il n’aime d’ailleurs pas grand chose : ni les chocolats que nous lui offrons, ni les animaux (il ne comprend pas que nous soyons attristées à la vue du cadavre de hérisson sur le bord de la route…), ni les enfants (« qui sont comme des animaux » – les préfère t-il à l’état de dépouille?). Il n’hésite pourtant pas à réaliser un détour non négligeable pour nous conduire à bon port, empruntant les ruelles escarpées du centre historique de cette ville à flanc de colline.

IMG_3978Avant même de nous faire visiter l’établissement, le tenancier du «Nomad hostel» (un personnage fantasque auquel nous pourrions consacrer un article entier mais que nous vous invitons à découvrir par vous même si d’aventure votre route vous mène ici), nous tend deux louches et nous invite à déverser le contenu d’une marmite géante dans une série de bocaux en verre.

Du yaourt ? Bulgare?! Exactement ce dont nous avions besoin…

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De la niche au palace

« C’est pas la Côte d’Azur, mais ça vaut le détour ». Suivant les bons conseils de Stéphanie (qui – contrairement à nous – possède un guide détaillé, ne rechigne pas à se lever à l’aube et a, de fait, une longueur d’avance sur les marmottes que nous sommes), nous faisons escale à Nis (prononcez niche – d’où la subtilité du titre).

Ici, contrairement à son presque homonyme provençal, pas de promenade des anglais, ni d’anglais tout court : la quatrième ville de Serbie n’a pas la faveur des étrangers. Elle recèle pourtant quelques curiosités qui valaient bien que nous lui consacrions une étape, et un article.

Tour crânesLa plus remarquable d’entre-elles est une « tour de crânes », érigée au début du XIXe siècle par les turcs afin d’épouvanter les envahisseurs potentiels. Le message a le mérite d’être clair : « si vous approchez trop on vous scalpe ». Originellement, l’édifice mesurait 30 mètre de haut. Aujourd’hui ne demeure que la portion inférieure.

La perpective de cette attraction aguiche nos instincts macabres. Hélas, on est lundi, et le lundi, en ce pays, est l’équivalent de nos dimanches. Nous demandons donc au gérant de la sympathique « guest-house » où nous avons trouvé refuge (dont on salue au passage l’accueil plus que l’originalité – celle-ci étant baptisée «Nis hostel»…) de vérifier pour nous que la construction est bien visible en ce day off. Confirmation obtenue, nous nous rendons sur place.

Sandra mini-vieilleA l’arrivée… La grille du parc est close et le lieu aussi dépeuplé que les plages de Fukushima. Incrédules (« ils nous avait bien assuré que c’était ouvert?»), nous contournons le bâtiment jusqu’à un guichet d’apparence fantomatique (ça cadre avec le thème…). À mieux y regarder, une femme à la physionomie néandertalienne – soit minuscule – s’affaire derrière un comptoir dont la vitre est baissée. Elle nous accueille tout sourire mais confirme la fermeture du monument. « Mais on nous avait dit… ». Elle ne parle pas un mot de franglais ni d’italmand mais sait se faire comprendre. Sur un morceau de papier, elle inscrit « 100$ ». Nous comprenons, qu’elle accepte de nous ouvrir les portes de l’enfer, mais que ça nous coutera un bras… (une nouvelle tour en construction?)

Après une succincte négociation, nous parvenons à obtenir un tarif dix fois inférieur pour cette entorse à la règle. Pour 10$ donc, nous pénétrons ce cimetière vertical et obtenons même une visite guidée en serbe! Bien que nous ne captions pas un mot de son discours, la mini-vieille s’avère être intarissable et, prenant volontiers la pose avec nous, elle nous offre une compagnie des plus insolites. Même les « vanités » nichées dans la roche millénaire semblent se fendre la poire !

Ensuite : visite du cimetière juif, des ruelles pavées de la vieille ville et dégustation d’un petit hamburger « Serbian’s cuisine », avant de repartir sur la route…. 

Pano famille

En l’occurrence, celle-ci promet un grand écart… Nous quittons la Serbie pour la Bulgarie d’une part, mais surtout un dortoir pour un palace…

Sandra SofiaSandra ayant animé une conférence auprès des managers du prestigieux groupe d’hôtels de luxe Kempinski, Gerd Ruge, le manager de celui de Sofia, nous invite à séjourner deux nuits dans l’une de ses suites !

Après ces nuits agitées, l’idée de ce havre de paix nous fait déjà ronronner de plaisir… Avouons tout de même être pour le moins mal à l’aise en entrant dans le lobby, notre attirail de traveleuses-teenagers sur le dos. Le bagagiste qui s’empare de nos sacs poussiéreux semble n’avoir jamais convoyé un tel accoutrement.

photo-2Lorsqu’il nous ouvre la «chambre» (surface additionnée de toutes celles occupées jusqu’alors + celle de nos appartement parisiens respectifs…), nous découvrons que, depuis ce quatorzième étage, chacune des fenêtres offre un panoramique à couper le souffle. Un festin de bienvenue nous kempinskiattend sur la table du salon. Chardonnay au frais, fromage, charcuterie et fruits enrobés chocolat… Merci Gerd, grâce à toi nous jouons à Cendrillon (minuit sonnera demain, lorsque nous reprendrons la route vers le nord…)


Aux mauvaises langues qui ne manqueront pas de déplorer l’embourgeoisement, nous répliquerons que – tel le caméléon – nous cultivons l’art du camouflage.

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