L’Est appartient à ceux qui dînent tôt

23 heures. Clärchens Balhaus. Berlin. Les guirlandes et lampions zèbrent de lumières multicolores le jardin de la vieille salle de bal où nous espérons faire bombance d’une curry wurst de bienvenue.
« Désolés, on ne sert plus. »
À l’est, on dîne tôt…

Nous nous rabattons sur la seule gargote du quartier dont les cuisines frémissent encore. Un hamburger japonais puis quelques Prost à l’Absinthe pour porter chance à ce deuxième périple vers l’est.

IMG_5493Dodo chez « l’habitant Ingo », un inconnu déjà presque familier. Puis le lendemain, nous reprenons les rituels tout aussi familiers : réorganiser le sac-à-dos, préparer la pancarte – galets et marqueurs à portée de mains, une carte routière au cas où. Et puis traverser la ville plein Est, vers le « bon spot ».

«Là c’est parfait, entre les deux stations service, non plus loin après le feu rouge, je suis sûre qu’à la sortie du Burger King ça va marcher, attention il a une voie de bus. Et une piste cyclable… » 

IMG_5543Poucette avertie en vaut deux (fois deux ?). Près d’une heure à attendre, sous le soleil exactement, sans désespérer pour autant – l’expérience 2012 nous a conforté dans nos certitudes : le stop marche à tous les coups (même si il nous faut parfois marcher beaucoup). 

Trois autres « pouceux » dans les parages semblent eux aussi prendre leur mal en patience. Leur présence nous rassure – c’est le « bon spot » – mais nous contraint à nous poster plus loin (règle numéro 3 du code de déontologie de l’autostoppeur : premiers arrivés, premiers servis).

IMG_5553Soudain apparait la voiture de John, camerounais d’origine, avec à son bord un allemand et une française, étudiants à Dresde. Il s’agit de co-voiturage – payant donc? Après quelques bredouillements auf Deutsch, nous comprenons que John accepte de nous embarquer en échange de l’un de nos fameux galets.

John vit en Allemagne depuis vingt ans, parle camerounais, anglais, allemand et un peu français. John construisait des routes avant de devenir professeur de salsa. John est pince-sans-rire et trouve que les filles parlent trop. John adore qu’on lui chante des chansons mais déteste qu’on le prenne en photo (il faudra donc nous croire sur parole).

IMG_556117h. Il nous dépose à Dresde. A mi-chemin de notre parcours du jour. On hésite : repartir vers l’autoroute illico pour gagner Prague ou faire une visite éclair de la ville ?
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La traversée de l’Elbe nous convainc de laisser nos bagages à la gare pour une petite heure. Ville rasée, reconstruite, ville de l’Est devenue capitale économique régionale (la Saxe), centre universitaire où la consommation bat son plein (en témoignent des kilomètres de devantures de boutiques flambants-neuves), Dresde construit des ponts entre hier et aujourd’hui. La Frauenkirche, église entièrement détruite en 1945, vient ainsi d’être reconstruite à l’identique – quelques pierres noires rappelant ce que furent les fondations de l’édifice original.  

IMG_313018h30. Il est temps de reprendre la route si l’on espère arriver avant la nuit.
19h. La fenêtre avant d’un coupé rutilant s’ouvre sur Christopher. Il rentre à Prague, où vit depuis peu (En réalité, il est anglais – trahi par un accent « so britich »). La cinquantaine enthousiaste, il aime Véronique Samson et piloter des avions. Son GPS parle en miles et en inches et – grâce à lui (à eux) – nous parvenons sans tarder ni nous perdre au pied de chez Jean, un ami d’ami qui a la gentillesse de nous accueillir chez lui. IMG_5582 2

Depuis sa terrasse, les cent clochers de la ville semblent presque à portée de main. L’apéritif se prolonge jusqu’à la nuit tombée, et que la faim commence à faire chanter les panses vides. « On va dîner ? »

Un, deux, trois… Dix restaurants, et invariablement :
« Désolés, on ne sert plus. »
C’est vrai, à l’Est, on dîne tôt.