J28 : Cérémonie de clôture

Nous nous étions promis de conduire les roses offertes par notre camionneur grec jusqu’à Istanbul. Bien sûr, nous avons maintes fois failli les oublier dans une chambre d’hôtel ou sur la banquette arrière de voitures quittées en deux temps trois mouvements. Elles ont semé leurs pétales sur tant d’autoroutes et de stations-service que chacune d’elles n’en compte plus guère.
Depuis des jours, les passants les regardent, puis nous regardent, lueur d’incompréhension dans les yeux. Pris de pitié, un vendeur a même offert de nous les échanger. Mais nous avons tenu bon. Jusqu’au dernier jour, le 28ème, où elles termineront leur course dans le Bosphore.

Kaan nous accompagne sur le pont turquoise de Galeta pour assister à la cérémonie.
L’ultime chauffeur des Poucettes est devenu un ami. Il immortalise l’instant.

Les pêcheurs observent, étonnés. 1, 2, 3. Saikis, tes fleurs nous ont accompagnées jusqu’ici, et toi avec, comme chacun de nos partenaires de route. Les roses sont à l’eau. Ou nous à l’eau de rose, selon.

Oui, tout concourt à nous rendre sentimentales.
Kaan insiste pour dîner dans le meilleur restaurant de la ville, sur une terrasse face aux nombreuses mosquées éclairées ; Tolga, un ami de France, nous présente ses proches, dont l’immense Mehmet, qui nous héberge et partage avec humour sa connaissance du pays.
Trois jours avec lui pour vibrer dans la nouvelle Byzance. Coups de cœur en cascade. Et les flashs qui reviennent à mesure que les pétales se dispersent.

L’Europe et l’Asie en un tour de ferry. Un verre de Raki, du miel sur les doigts, un concert improvisé, des moules dans la rue, chaton sur les genoux, verres de chaï enchaînés, marc entre les dents, mots nouveaux, griffonnés sur des carnets, répétés, déformés. Et des rires, tout le temps.

Istanbul a cent quartiers et cent visages. Il faudra revenir. Chez Mehmet ? Notre nouvel ami, notre plus belle découverte. Le voyage tient à ces rencontres. Plus que les monuments, les paysages, elles sont ce qui reste. Des cailloux dans nos mémoires…
Et trois autres dans nos poches.

Le premier est pour Mehmet.
Le second dort désormais dans les murs de Sainte Sophie. Nous l’avons glissé tout à l’heure dans une faille de la crypte. Notre pierre à l’édifice du plus beau d’entre tous.
Le troisième reste dans les airs. Déposé dans le cockpit de l’avion qui survole nos 3200 kilomètres de route et nous ramène, déjà, à la maison.

La chute et l’atterrissage.

«Le stop est dangereux. On peut vous voler, vous violer… ». Cinquante voitures, pas un incident. Un avion et devinez quoi ?… Nos bagages sont perdus. Ils errent encore, quelque part entre Istanbul et Paris. Comme le signe que nous ne devrions jamais les poser, peut-être.

J25: Istanbul, yes we Kaan !

Aujourd’hui est un jour historique pour Les P’tites Poucettes. Si tout va bien, nous serons à Istanbul ce soir. Plus que 430 kilomètres avant le Bosphore, l’horizon que fixé depuis 25 jours. 45 voitures nous ont déjà conduit, kilomètre après kilomètre, aux portes de la Turquie.
Alors ce matin, en écrivant I.S.T.A.N.B.U.L sur notre fidèle ardoise Velléda, l’émotion est palpable.
Notre premier chauffeur grec tente bien de nous convaincre d’inscrire «Constantinoupoli» (Istanbul était grecque), comme d’autres refusaient de nous entendre évoquer la Macédoine dont nous venions (« La Macédoine est une région de la Grèce, le pays dont vous parlez s’appelle Fyrom – Former Yugoslav Republic of Macedonia »), mais pour nous, le symbole est trop fort pour tenir compte ces susceptibilités nationalistes.
Dans notre dos, les roses fanées de Saiki, un gâteau au miel dégoulinant (au cas où…) et des sacs de plus en plus fatigués. Face à nous, notre désormais habituel terrain de jeu : une autoroute poussiéreuse.

L’Europe nous mène aux portes de l’Asie : trois voitures grecques, un camion tchèque pour franchir une frontière interdite aux piétons, la douane, et à quelques mètres : « Welcome to Turkey ». Un troupeau de vaches traverse la quatre voies juste sous le panneau. Joli clin d’œil. Au dessus de nos têtes, des nuages noirs se rapprochent dangereusement.
Pourvu que la pluie n’achève pas notre baptême du stop…

Alors que les premières gouttes nous tombent dessus, un 4×4 noir s’arrête. Lorsque Kaan affirme qu’il va à Istanbul, nous avons du mal à y croire, et presque une larme à l’œil. Ca y est. Presque. Il entame le laïus rituel (« En Turquie, il ne faut pas faire de stop, c’est dangereux »), mais peu importe puisque sa voiture nous conduit à destination.

Nous n’aurions pu rêver meilleur chauffeur pour ponctuer cette aventure. Kaan, 36 ans, est chirurgien urologue et musicien passionné. Il nous invite à goûter à une spécialité de Keftas sur la route, chante à tue-tête avec nous (pour le concert d’adieu des Mariachattes, nous sortons le grand jeu), et s’arrête même sur la bande d’arrêt d’urgence pour improviser un récital de ney (flûte traditionnelle turque). La scène est pour le moins improbable. Sous un ciel zébré d’éclairs, les voitures nous dépassent à cent à l’heure, tandis que, dans l’habitacle, Kaan recherche le « Holly spirit » d’un instrument millénaire.
Applaudissement, excitation, fous rires, et au bout de la route… les lumières d’Istanbul. Nous déposons la cinquantième pierre, la dernière, sur son tableau de bord…

Paris-Istanbul. Sans un bus, un taxi ou un train. Conduites à bon port par le hasard des rencontres, la bienveillance de ceux qui nous ont permis d’avancer bien au-delà de ce que nous espérions.

Francesco, Priscilla, Aurélie, Daniel, Bruno, Jean-Blaise, Diane, Julia, Claudio, Daniele, Bibo, Fabrizio, Christian, Tristan, Gaëtan, Antoine, Alexandre, Thibault, Timothée, Angeliko, Roberto, Valentina, Moreno, Jan, Sacha, Rok, Guillaume, Yvan, Josko, Mario, Ariana, Tomo, Zoran, Aziz, Aziza, Nermine, Karim, Setefan, Przemek, Tarik, Bertrand, Nebojsa, Katy, Perparem, Liirm, Marjin, Petrit, Jacok, Kathy, Dani, Dragi, Monica, Nathalie, Trianos, Saikis, Thomas, Saiki, Théo, Yanis, Yorgo, Saikis, Andreas, Tadeas, Kaan…
M.E.R.C.I.