Odessa plane pour nous

Anna b

Olga de Kiev, nous a conseillé de contacter Anna d’Odessa, qui elle-même nous a donné le contact de son amie Liliia, qui à son tour nous a orienté vers Temo (sachant que ce dernier n’a jamais entendu parler ni d’Olga ni d’Anna…) 

LiliiaToujours est-il que tous ces gens ont fait des pieds et des mains pour nous trouver un lit – et un comité d’accueil – à notre arrivée. Nous n’avons toujours pas compris pourquoi ni comment cette chaîne a commencé (Olga, qui es-tu ?), mais peu importe puisque, grâce à elle, la cérémonie de clôture de notre voyage a été un feu d’artifice.


Temo et ses amis Lasha, Devi et Khvicha so
nt géorgiens, en vacances pour trois semaines à Odessa. Ils ont 21 ans, sont étudiants, musiciens, et, sans nous connaître, ont libéré une de leurs deux chambres pour nos – beaux ? – yeux (et même s’ils affirment dormir aussi bien à deux sur le canapé, nous mesurons leur sacrifice). Ils nous ouvrent leur porte à 11 heures du matin, champagne ukrainien à la main. 

dej allianceQuelques bulles partagées et déjà nous avons rendez-vous pour déjeuner avec Anna (la fameuse donc) – dont nous avons entre temps compris qu’elle était responsable de la communication de l’Alliance Française – et Sylvain, le directeur de ladite institution. Ils nous invitent dans un petit resto du quartier (la cuisine ukrainienne, quel bonheur… les plats de nos copines de l’auberge n’étaient qu’un avant-goût !) et, immédiatement, nous nous sentons chez nous dans cette ville.

IMG_7318Nous l’avions choisie au hasard, sans rien en attendre. On imaginait une station balnéaire un peu bling bling, dominée par une architecture soviétique… C’est tout autre chose que nous découvrons. Odessa n’est pas appelée « le Paris ukrainien » pour rien. Richelieu fut l’un des pères-fondateurs de la ville, et la patte de nos architectes bleu-blanc-rouge y est toujours bien présente. Nous flânons dans ses rues piétonnes, son parc qui surplombe le port et sa promenade le long des plages de sable fin ourlant la mer noire (Parenthèse culturelle : Le saviez-vous ? La mer noire est ainsi nommée car les Ottomans utilisaient des couleurs pour qualifier les points cardinaux – noir pour le Nord, blanc pour le Sud, bleu pour l’Ouest et vert pour l’Est. L’appellation relève donc de sa géographie (au nord de la Turquie) et n’a rien à voir avec sa véritable couleur (absolument bleue on l’assure)).

Mais bien plus que l’aspect extérieur de la ville, c’est son cœur qui a fait battre le nôtre. En quelques heures, Anna, Liliia et nos amis géorgiens sont devenus une vraie famille pour nous. Nous retrouvons aussi Danis, notre dernier conducteur. Comme avec Kaan l’an dernier, nous réalisons avec lui la cérémonie de clôture de l’aventure P’tites Poucettes 2013. Pas de roses dans le Bosphore cette fois, mais des galets sur les marches de l’illustre escalier de Potemkine.
bouffeDanis commande en secret un assortiment géant de tout ce que la gastronomie odessite comprend de plus fameux et nous abreuve de vodka aux saveurs parfumées.
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Il refuse que l’on sorte un kopeck (monnaie locale, donc c’est plus que jamais le cas de le dire!) de nos poches (« otherwise I would feel like a woman »), et se réjouit de notre tristesse de quitter sa ville, bien trop tôt.
Le voyage est ainsi fait : il y a trois jours, nous nous réveillions en pleine nuit, hésitantes quant au fait de rester ou non dans le delta du Danube. Les paysages y étaient tellement sauvages que nous pensions ne jamais retrouver un lieu aussi vibrant. Et puis, on se force, on part, et de l’autre côté de la frontière, un nouveau coup de foudre. Le monde regorge d’amour, et aujourd’hui, nous sommes ses fiancées.

Capture d’écran 2013-08-26 à 09.08.53Tenez, pour notre dernière nuit, tout a concouru à nous retenir ici. La soirée de la veille ayant été pour le moins intense (on ne parle pas d’alcool sur ce blog, suivant les recommandations du ministère de la santé), nous décidons simplement – à minuit – de prendre quelques verres à la maison. A dix, nous nous rendons à la supérette du coin de la rue (ouverte la nuit donc. Ici il ne faut jamais risquer d’être à sec…). 

De retour, nous nous séparons en deux groupes pour prendre l’ascenseur. Nous montons dans le premier avec Anna (Ukraine), Lasha (Géorgie), Stanislav (Russie) et Nil (Canada), les bras chargés de vivres pour la soirée. Il est 1 heure du matin lorsque la cabine s’immobilise entre les 13ème et 14ème étage. Notre taxi pour l’aéroport est commandé pour 5h… On essaye d’appuyer sur tous les boutons (sonnette d’alarme comprise), mais plus rien ne répond…

Pas d’aération dans l’habitacle des années 50. Anna compose le numéro de téléphone scotché sur la porte. « On vous envoie des techniciens… bientôt » Inutile de préciser que l’unité de temps « bientôt » nous laisse craindre le pire. 

Mais d’un accord tacite, malgré la chaleur, le manque d’air et l’angoisse inhérente à la situation, nous décidons de faire comme si…

Que la fête commence ! On débouche les bouteilles et entamons les tablettes de chocolat. On se met à chanter, tout et surtout n’importe quoi, en français, anglais ou géorgien. On invente une chanson très à propos : We are stucked in the lift but thanks god no one goes psychotic…


Nos amis restés sur le palier de l’autre côté de la porte s’inquiètent de notre santé mentale lorsqu’ils nous entendent hurler nos chansons et de rire. Les voisins se plaignent (on voudrait bien les y voir). Toujours pas de dépanneurs. Ne pas y penser. Reboire un verre et danser, encore (sur place et sans faire trop sauter la nacelle on s’entend).


Il est 2h15 lorsque nos sauveurs entrent enfin dans l’immeuble. En russe, ils expliquent qu’ils ne trouvent pas la clé des portes et que l’opération pourrait encore prendre une heure. On se regarde, tous, transpirants et rouges comme des marathoniens, lueurs d’angoisse dans les yeux, puis on reprend de plus belle « we are stucked in a lift…« 

15 minutes plus tard, les portes s’ouvrent enfin et l’on se rue sur le palier sans terminer le couplet. On se serre dans les bras. On se félicite. On se gratifie de la chance de s’être trouvés dans cette situation avec des gens qui savent aussi bien prendre le bon côté des choses. 

Anna regrettait que nous ne sortions pas pour notre dernière nuit, qu’elle voulait mémorable, elle n’aurait pas pu imaginer mieux. 

Notre départ n’est plus qu’à deux heures. Tout le monde est épuisé. On envisage de faire une « nuit-sieste » avant de prendre l’avion. Mais nos amis affirment qu’il est hors de question qu’ils ne soient pas là lorsque nous descendrons prendre le taxi. Ils ne dormiront pas, c’est non-négociable.

Alors quoi ? On reprend la guitare et on se dit que l’on a plus de pot qu’un gagnant du loto. Pas de fric mais un trésor entre les mains : les leurs. Elles nous enlacent tandis que l’on promet de se revoir – peut-être – et de ne surtout pas oublier ces moments.

Odessa, où c’est ça ? C’est à la maison, exactement. Merci. Du plus profond de nos cœurs d’artichauts.

groupe georgiens
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Dernière ligne, pas très droite…

3h00
« Tu ne penses pas qu’on devrait rester un jour de plus à Sulina ? »
En vrac, Sandra énumère les arguments – des plus cartésiens aux plus absurdes: « ici c’est vraiment des vacances, on ne retrouvera pas un tel endroit, si on atteint Odessa après-demain, ça fera pile 28 jours… » Les contre-arguments d’Aurélie ne sont pas plus convaincants : « On s’était mis d’accord, on n’aura peut-être pas le temps en une seule journée, on ne verra rien de l’Ukraine… »

4h00
Incapables de prendre une décision, nous nous en remettons au hasard : un lei local tranchera. Sauf que la pièce roule sous le lit et demeure introuvable… 

IMG_41485h30
Le réveil nous tire d’une d’une nuit insomniaque, mais qui nous a tout de même porté conseil: c’est décidé, nous nous lançons à l’assaut de la dernière ligne droite.


6h30

Sur le pont, Sandra tente désespérément de retenir le ferry prêt à lever l’ancre. Aurélie est encore à quai, à la recherche d’un petit-déjeuner. Elle embarque tout juste à temps pour effectuer l’unique liaison quotidienne, depuis les confins du delta jusqu’à la métropole de Tulcea

IMG_7108Un pied à terre aussitôt suivi d’un pouce en l’air. Pas de temps à perdre, la journée s’annonce marathonienne. Filip et Sylvio l’ont bien compris. Père et fils acceptent de nous conduire d’une traite jusqu’à l’embarcadère de Galati.

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NB : La logique de ce trajet échappe certainement au lecteur non géographe. Ainsi la carte ci-contre fournira un précieux éclaircissement sur l'(il)logique de notre itinéraire. Notez qu’à vol d’oiseau, Odessa n’était qu’à quelques miles… Suivant l’adage que nous avons fait nôtre (l’important n’est pas la destination blablabla…) nous résistons à la tentation de parcourir le trajet en bateau (ok, admettons qu’il n’y en avait pas…). 

13h00
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Sur l’autre rive du Danube, la Moldavie n’est pas très loin. Pour l’atteindre, Viorel nous ouvre les portes de son véhicule et, par chance, son meilleur ami n’est autre que le «chef de la frontière roumaine»! Un coup de fil passé et ce dernier nous accueille tout sourire à son poste. «Elle est interdite aux piétons mais je vais vous arranger ça». IMG_7134D’autorité, il «conseille» à  la première voiture de nous prendre comme passagères. Grace à ce stratagème et à la complicité de Liubovi et Jorj, nous franchissons donc sans encombres la double frontière (c’est-à-dire, en échappant au racket des douaniers moldaves qui est légion) – non sans poireauter tout de même deux bonnes heures sous un soleil cuisant…

15h00
Le couple de « passeurs » nous dépose devant le poste frontière Ukrainien. Cette fois, nous sommes à pieds et – on est prévenues – ça peut nous coûter un bras… D’emblée, le commandant en chef (et en treillis) nous jette des oeillades aguicheuses. L’occasion de titiller deux jeunes femmes ne se présente pas si souvent. Nous aurons droit à toutes les attentions.

– Possédez vous des armes ? Couteaux, matraques, peper spray… ?
– Heu, non…

(La lacrymo nous semblant un moindre mal, nous préférons répondre par la négative à l’ensemble – alors qu’à vous lecteurs, on peut le dire, on a une petite, toute petite bombe…)
Mais bien vite, la supercherie est détectée par le rayon X du passe-bagage dans lequel on nous somme d’introduire les nôtres.

– C’est que… Heu… En fait nous n’avions pas compris la question…
– Ici, c’est interdit. Vous irez deux jours en prison. A moins que… Vous avez 10€ ?

Dépourvues de toute liquidité, nous tentons de négocier, de façon à éviter l’internement, sans pour autant nous soustraire à la corruption (les sourires niais ça marche?) En fin de compte, nous sommes simplement délestées de l’objet du délit et gratifiées d’un clin d’oeil libidineux : « Welcome to Ukrania ».

16h00
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L’ukrainien n’étant pas traité par notre guide de conversation, c’est en russe que nous tentons d’expliquer à Stepan et Nicolaï que nous voyageons en autostop. Rien n’y fait, ceux-ci nous déposent à l’entrée de la gare routière de Reni. Cependant, même si nous avions voulu tricher en empruntant l’un des bus locaux, nous aurions été bien en peine de le faire car la station est parfaitement déserte…

17h00
Vladimir ne va pas à Odessa mais peut nous conduire à Izmaïl, cela nous rapprochera. La ville n’est qu’à 50km mais il nous faut 1h30 pour l’atteindre compte tenu de l’état de la route. « c’est comme ça partout en Ukraine ? »

18h30
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Nous voici sur un rond-point, très exactement au beau milieu de nulle-part. Soudain, du néant – telle la seule âme vive de ce paysage lunaire – surgit un chien. Si il n’avait pas eu de laisse, nous aurions certainement pris peur. Mais à le voir là, ventre à terre et langue pendante, nous décidons de stopper sa course de dératé. L’animal est visiblement perdu. Que faire de lui? Nous partons en quête d’un candidat à l’adoption… 


Lorsque nous pénétrons dans une auberge, deux femmes nous gratifient d’un «comme il mignon votre chien !» Nous avons beau nous échiner à leur expliquer que ce n’est pas le nôtre, que nous l’avons trouvé là, elles ne nous croient pas. Il faut dire que notre protégé met du sien pour les convaincre du contraire. Lorsqu’alternativement, nous nous rendons aux toilettes, il hurle à la mort… 


Aurélie décide alors de l’attacher dehors et de croquer son portrait sur une affichette. Sandra consulte Google Translate afin de persuader nos hôtes incrédules : « ce chien a perdu son maître ».

IMG_7180Pendant ce temps-là, elles nous concoctent de quoi nous restaurer. Une demi-heure plus tard, nous délectant d’un bortsch maison, nous réalisons que notre compagnon s’est carapaté sans dire au-revoir… 

19h00
Plus de chien, pas de voiture, peu d’espoir. Et cette pancarte qui nous nargue… Odessa : 300 kilomètres. 

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On se donne une heure avant de trouver – sinon, nous retournerons chez nos copines aubergistes et leur demanderons asile pour la nuit (après cette journée de fou, ce sera le cas de le dire).

IMG_419419h30
Un couple s’arrête. Olga et Stanislav sont installés à Kiev mais rendent visite à leurs parents, à Izmail. Pas d’Odessa donc. Et Tatarbunary? (Que le premier lecteur qui a déjà posé un pied dans cette ville se manifeste sur le champ). Non plus.
Pourtant, ils nous font signe de monter. Le bord du chemin où nous sommes étant aussi peuplé que le Sahel, ils proposent de nous mener à un meilleur spot : une station essence (joie : ça faisait si longtemps). 

Par empathie, Stanislav décide de nous trouver lui même un conducteur. Ce qu’il parvient à faire en moins de trois minutes. Sauf que… Entre-temps, Aurélie réalise avoir, dans la précipitation, oublié son portable sur le bord de la route (près de feu le chien, donc). Ni une ni deux, notre super couple/sauveur file à sa recherche tandis que nous faisons la connaissance de Danis, l’odessite qui offre de nous conduire à destination… finale!

19h30
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Le téléphone récupéré, nous remercions Olga et Stanislav avec un enthousiasme qui doit leur échapper. Mais voyez plutôt : il y a 28 jours exactement, nous quittions Berlin. Grâce à eux, et à nos 39 autres conducteurs, nous ne sommes plus qu’à quelques heures du but.

20h00
La route va être plus longue que prévue. L’asphalte est grêlé de nids de poule et nous empêche de dépasser les 70 km/h (c’est donc vraiment partout comme ça…?). Cela au moins le mérite de nous permettre d’échanger avec Danis qui, par chance, parle anglais. Lorsque nous lui racontons l’histoire du « pepper spray » à la douane, il répond : « Ridicule! Ce n’est pas interdit ici. La preuve, tout le monde possède des armes. Là, par exemple, j’ai un gros couteau… »
– Ah… Et bien nous, on n’a même plus de pepper spray (mais toute confiance en lui, heureusement). 

21h00
A chaque carrefour, la police hèle un véhicule sur deux. « Pour eux, c’est tout bénéf’ parce que lorsqu’ils t’arrêtent pour excès de vitesse, ils te proposent soit de payer l’amende à l’État, soit de ne payer que la moitié, mais à eux ». Evidemment, la plupart des gens choisissent la deuxième option. Très rentable d’être flic…

IMG_7242Danis, qui auparavant était gogo dancer (on adore…), est désormais manager d’une entreprise de construction. Il explique que tout fonctionne à la corruption. « C’est un système à intégrer. Il y a peu de place pour les gens complètement honnêtes, si tu ne ruses pas un peu ici, tu es mort (ou pauvre, selon) ».

22h00
Preuve par l’exemple : Danis offre de faire un détour pour nous montrer l’ancienne forteresse Akkerman, à 80 kilomètres d’Odessa. Même si, après 16 heures de route, nous avons surtout hâte d’arriver, nous n’osons pas refuser.

– Mais… à cette heure-ci, ça ne risque pas d’être fermé?
– Si, c’est même sûr. Mais avec un peu d’argent, on peut ouvrir toutes les portes…

De fait, dès qu’il leur glisse des billets dans la main, les gardes nous invitent cordialement à pénétrer dans l’enceinte désertée.

IMG_7234Le lieu est à couper le souffle. Sous la (pleine) lune, nous déambulons dans les ruines du château qui domine un immense lac (excusez l’absence de précision de la description, mais à cette heure-là certains neurones ont sauté – comme nous sur la banquette arrière).

23h00
Ça y est, nous y sommes. Comme dans un rêve cotonneux, nous arrivons, enfin. Odessa, où c’est çà ? Et bien c’est juste là…

Et il semble que nos aventures ukrainiennes ne fassent que commencer (le fin mot de l’histoire, demain – si, comme nous, vous tenez jusque-là).