Règle numéro 1 du stop : jamais la nuit.
Problème numéro 1 des Poucettes : toujours en retard.
Lorsque nous quittons le centre de Vienne, il est déjà 16 heures. Mais pas de stress, on a confiance. Ne sommes-nous pas quasiment passées pouceuses professionnelles ?
En deux arrêts de tram, cinq stations de bus et neuf de métro, nous expérimentons la variété des transports en commun autrichiens. (Les sorties de ville sont à l’autostoppeur ce que l’échauffement est au gymnaste, ou l’apéro au Breton c’est selon). Et puis, enfin, juste là, à gauche de l’usine, la «Tankstelle » convoitée…
De toute évidence, nous ne sommes pas les seules à placer nos espoirs entre ses pompes de gazoil, puisqu’un autostoppeur y tend déjà sa pancarte « Budapest ». La notre affiche le même objectif – notre monde est définitivement trop concurrentiel… Le type a de la barbe, et probablement trop de poils pour qu’un sourire puisse s’en décrocher. Bref, il nous fait peur et ne semble vraiment pas apprécier notre arrivée en fanfare (souvenez-vous que l’on chante, parfois). Pour ne pas – trop – le déranger, nous optons pour la stratégie du « one to one », la rencontre directe avec les conducteurs. Exemple d’approche délicate (traduite d’un allemand parfait, ça va sans dire):
– Bonjour. Sympa la nouvelle offre pour le fioul domestique n’est-ce pas ? Et sinon, ça ne vous dirait pas de nous déposer à Budapest ? »
Après une dizaine de minutes, un homme d’affaire hollandais expatrié en Slovaquie et travaillant en Autriche (normal) offre de nous avancer de quarante kilomètres à bord de son imposante Mercedes. Impossible de résister à la perspective d’un peu de clim. On se fait toutes petites sur les banquettes pour passer devant le barbu-qui-fout-les-jetons et savourons le plaisir d’une vraie discussion en anglais avec Feike, notre chauffeur grand voyageur.
Seulement voilà… Il est 17h et la station-service sur laquelle il nous dépose ressemble à s’y méprendre à la précédente – sauf qu’entre-temps, le ciel s’est considérablement obscurci. Il est 18h00 lorsque les premières gouttes nous chatouillent les avant-bras. Milan et Marie, un jeune couple de camionneurs hongrois nous fait signe de monter à bord. « Mettez-vous derrière, sur la couchette. On n’a pas tellement le droit d’être plus de deux. mais ne peut pas vous laisser là…». Planquées derrière le rideau, nous faisons une brève expérience de la clandestinité. La vidéo ICI.
Milan conduit mais sa femme le seconde volontiers. C’est d’ailleurs elle qui lui signale que l’une des aiguilles du tableau de bord pointe dangereusement en direction de la zone rouge de la jauge – signe que le moteur est en surchauffe…
Cinq kilomètres plus tard, nous stoppons l’engin pour déverser quatre bidons de liquide de refroidissement sous le capot. « Ca va suffire tu crois ? » Milan nous répond en croisant les doigts…
Deux minutes plus tard… Biiiiiiip !!! Le tableau de bord clignote. Cette fois, c’est le niveau d’huile. Deuxième arrêt. (A ce rythme nous pourrions sans mal devenir LES spécialistes de la station-essence autrichienne !) La fumée suspecte qui s’échappe du capot au troisième démarrage marque l’immobilisation définitive du véhicule.
Milan nous fait comprendre que « ça peut durer un moment… » mais que « on est les bienvenues si on veut dormir là… » La frontière est encore loin. L’orage est passé mais le soleil décline. Il est 19h30, l’heure de passer aux choses sérieuses.
Afin de ne point enfreindre notre règle, nous avons une demi-heure pour trouver un véhicule. Sinon, et bien… Nous gardons sous le coude la proposition de Milan et Marie (une nuit en camion après tout, pourquoi pas?)
Un à un, nous abordons chacun des usager de la station.
Dans l’effervescence et l’acharnement de la dernière chance nous finissons par avoir l’embarras du choix ! Ils sont quatre chauffeurs, à se « disputer » notre compagnie. Ouf. L’option « quatre sur banquette arrière du camion » est évacuée.
Nous embarquons finalement avec une « famille formidable » (fait assez rare compte tenu de la place d’ordinaire occupée par ces chers bambins). Delhia, Lonele et leur fils Paul nous conduisent à la porte de notre hôte, au centre de Buda, après nous avoir convaincues de bientôt découvrir leur pays, la Roumanie.
Nous avons la larme à l’oeil en quittant leur garçon de treize ans, qui parle quatre langues et enchaîne les tours de magie. Pendant 200km, nous avons presque eu l’impression d’être ses sœurs.
Il est 21h30. Le soleil vient de se coucher sur le Danube. Parfait timing. L’heure d’ajouter un nouvel alinéa à notre code de conduite :
Règle numéro 2 : ne jamais baisser les pouces.