Alchimies

Thessalonique ne se lasse pas de nous séduire. Il y a deux ans, nous y avions séjourné en coup de vent et espérions bien y remettre une tong. Au pif – ou disons plus élégamment « à vue de nez » – nous errons parmi ses ruelles escarpées, sacs aux dos, à l’affut d’un souvenir qui nous permettrait de retomber sur notre auberge favorite. Nous avons oublié son nom, son adresse, mais par chance (ou intuition), nous retrouvons sa petite porte bleue, sur les hauteurs de la ville.

Souleymane-Sandra-Apolon-thessaloniqueLà-bas, nous croisons, pêle-mêle : un artiste de rue qui déplore que le street art soit devenu une mode plus qu’un art. Maelle, une militante alsacienne tombée amoureuse de la Grèce, qui a choisi de s’y établir et de soutenir des initiatives d’autogestion (notamment une clinique, en réponse à la crise du système de santé). Alex, un étudiant en médecine venu d’Australie pour exposer le résultat de ses travaux de recherche – il a prouvé que les centres d’analyse ADN à distance ne sont pas fiables (mais également un autostoppeur avéré qui jalouse le fait que nos pouces féminins sont bien plus efficaces que ses doigts velus). Et un boulanger albanais qui nous offre chaque matin une miche d’un pain à faire saliver les adeptes de nos Poilanes hexagonaux…

Avec toutes ces (belles) rencontres, notre stock de galets s’épuise à la vitesse de la lumière. Nous profitons des plages paradisiaques alentours pour nous réapprovisionner en cailloux quand, au retour de celle de Halkidiki les poches garnies des plus beaux spécimens, le destin place sur notre chemin un trio « d’hommes de pierre ». Une coïncidence qui ne nous laisse pas « de marbre » :

  • Aurelie-cabriolet-saikisD’abord Saïkis, qui admettons-le, n’a pas franchement d’autre choix que de nous convier à monter lorsque nous l’abordons à un feu rouge. Alors que nous errons depuis près d’une heure dans les faubourgs de Thessalonique, nous nous invitons presque d’autorité dans son cabriolet. Bien qu’il ne parle qu’un anglais approximatif, nous comprenons qu’il travaille dans un gisement d’extraction de minerai. Le caillou que nous lui confions n’a rien d’un métal précieux mais, selon ses propres termes, « il n’a pas de prix ».

  • Ioannis-Thessalonique-serresIoannis ensuite, qui lui aussi déterre les pierres mais ne s’intéresse qu’à celles vieilles de plus de 2000 ans. Ingénieur spécialiste des sites archéologiques, il a participé au chantier de restauration des ruines disséminées aux quatre coins du centre-ville, vestige de l’empire ottoman. Par ailleurs, il est l’un des rares chauffeur à nous confier qu’il s’arrête chaque fois qu’un autostoppeur croise son chemin – souvent contre l’avis de sa femme qui ne pense qu’aux dangers potentiel que cela représente. Dans notre cas, elle aurait sans doute moins redouté la présence d’armes que celle de deux étrangères en compagnie de son (charmant) mari.

  • Georges-Serres-MelnikNous surnommons rapidement notre dernier larron « Mr caillou », et pour cause : il est géologue. Aussi avons-nous la faveur exclusive d’un exposé en bonne et due forme sur les propriétés fascinantes des roches de la région – leur formation millénaire, leurs compositions granitiques ou calcaires, leur stratification en couches ordonnées… Mais l’érudition de Georges (son vrai nom) ne se borne pas à la science des rocs. Il se change volontiers en politologue, philosophe ou ethnologue, voire en avatar d’un Bernard Pivot francophone/phile lorsqu’il nous révèle l’origine des mots barbecue, baccalauréat, bordel… (Et vous, le savez-vous?)

Lorsque nous offrons à Georges son traditionnel galet, il précise que celui-ci est « ordinaire » tendance vulgaire, mais savions-nous (et vous?) que l’ordinaire peut se muer en extraordinaire en un simple changement de conditions ? Par exemple, les molécules de carbone dont on fait les mines des crayons sont identiques à celles du diamant – la différence d’évolution vient des conditions de pression auxquelles la matière est soumise. Afin que le charbon se change en un joyau étincelant, il n’y a donc qu’un pas. Ou un pouce ?

Aurelie-serres-thessalonique-e79En compagnie de ce trio de spécialistes, de ces hommes de pierres (précieuses) alchimistes des temps modernes, c’est le temps qui se change en or.

Et nous ne nous apercevons même pas que avons parcouru 300 km et franchi la frontière bulgare. Nos petits cailloux continuent à faire des étincelles. Blagodaria !  

Marines d’eaux douces

yavht-amaliapolis-volosNotre Odyssée en mer Egée ne pouvait se terminer sur un tel naufrage. La tempête passée, il fallait bien une journée en eaux calmes pour récupérer un rythme cardiaque acceptable.
Guy et Cléo, nos capitaines, ont rapatrié l’embarcation à bon/un port de pêcheurs au sud de Volos.


L’occasion rêvée pour nous exercer au « pouce subaquatique » dans une crique aux eaux limpides, en prévision du 11 juillet (pour le projet
33’Tour de Sandra, vous découvrierez ce jour le premier clip des P’tites Poucettes!).

Arbeit, Arbeit donc, comme nous avons coutume de dire à propos de notre emploi du temps chargé comme celui d’un ministre (ou d’un fonctionnaire des PTT, c’est selon) : trouver de nouveaux galets, les apprêter, rafistoler la pancarte, rédiger nos articles quotidiens, collecter des sons, définir les itinéraires, contacter nos hébergeurs… En somme, presque un travail de bureau !

Guy-Cleo-Sandra-bateauEt du travail, nos acolytes marins n’en manquent pas. Tous deux multi-entrepreneurs, avec des liasses de billets et des smartphones plein les poches, ils enchainent réunions informelles et coups de fils. En flamand, en anglais, en grec, en bulgare, ils gèrent leur production de tomates, de palettes de bois, de transport de fleurs, d’assurance, de moules (nous savons désormais que Léon ne se ravitaille pas qu’à Bruxelles…).

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Croisée de regards sur la crise grecque

Lina et Maria ont le même âge, sont nées grecques et habitent Athènes. Elles portent pourtant des regards différents sur la crise qui assomme leur pays depuis 2009.

Toutes deux en conviennent : il n’y a plus de travail, le montant des allocations chômage et des retraites a chuté de façon indécente, la corruption est généralisée. Elles s’accordent à dire que le mouvement néo-nazi d’extrême droite, « Aube Dorée », est au fond encouragé par le gouvernement en place, pour détourner l’attention du peuple et faire oublier les scandales.

La xénophobie va crescendo (comme la bande annonce du scénario qui se joue actuellement en France ?). Lina et Maria dénoncent les accusations infondées qui pleuvent à propos des immigrés. Les problèmes ne viennent pas des Albanais ou des réfugiés Syriens. Les étrangers ne « volent » pas le travail des « vrais Grecs ». Comme partout ailleurs, ils occupent des emplois déconsidérés dans les secteurs du bâtiment ou de la voirie (que les autochtones rechignent eux-même à investir).

Pour elles, les coupables sont : l’Europe d’une part – qui impose son modèle économique et ses critères sans tenir compte des spécificités des pays membres, les dirigeants d’autre part (toutes couleurs confondues) – qui protègent leur pouvoir et les privilèges des riches aux dépends des plus fragilisés.

Les impôts des classes moyennes ont grimpé en flèche, tout comme le prix de l’essence qui vaut de l’or (noir) – 1,80€ le litre de SP 95, c’est sensiblement plus qu’en France, pour un revenu moyen bien inférieur… (le smic est d’environ 450€).

Elle partagent donc le même constat sur les causes et les symptômes, mais c’est à propos des effets et conséquences que leurs avis divergent.

LinaFace aux incertitudes du futur, Lina ne veut pas d’enfant. « J’aurais le sentiment de mettre au monde un condamné ». Elle regrette que les jeunes d’aujourd’hui passent leurs journées dans les cafés, sans envisager de quitter leurs parents. Sans ambition. Sans autre horizon que de se rassasier à la table familiale.

Lina est entrepreneur et résiste chaque mois à la tentation d’expatrier son entreprise. Les taxes sont asphyxiantes. « C’est devenu invivable, mais je considère qu’il est de mon devoir de ne pas abandonner mon pays lorsqu’il a le plus besoin d’énergie créatrice ».

Chaque jour, sous les fenêtres de son appartement cossu du centre-ville, des femmes fouillent les poubelles à la recherche de nourriture. Elle pense toujours à laisser un sac, avec les restes de son repas de la veille.


« Quand on voit cela, on comprend que les gens aient perdu le sourire. Pourtant nous les grecs étions très enthousiastes. Chacun se saluait dans la rue, sans même se connaître. J’ai énormément de peine. Mon souhait le plus cher est que nous retrouvions foi en l’avenir »

Maria-AthenesMaria elle, voit quelques avantages à la crise. Comme en temps de guerre, cette situation nous oblige à modifier nos habitudes, à inventer de nouvelles solutions, à se recentrer sur l’essentiel. Recycler, partager, échanger, s’entraider, en un mot : être plus « humain ».

Maria boucle un second cycle à l’université d’architecture. Elle a vécu un an en France où elle était bien tentée de rester. « Mais, je dois faire quelque chose à Athènes. Si tous ceux qui ont fait des études quittent le navire, la Grèce va définitivement sombrer ».

Elle déborde d’un optimisme réjouissant. Elle croit en son pays – si capable, si chargé d’Histoire. Elle est convaincue, ou du moins elle se force à croire, qu’il y a encore de belles histoires à vivre, et de belles pages à écrire.

Aujourd’hui, c’est cette page que nous dédions à ces femmes qui forcent notre admiration. Nous qui sommes ici de passage, et en permanence sur le départ.

Aurions-nous, comme elles, le courage de rester quand tout semble plus simple ailleurs ?

Quand tout part à Volos…

Athenes AcropoleNous ne nous attarderons pas à Athènes. Cette première étape a été l’occasion de rencontrer Lina et Maria, qui nous ont livré deux regards croisés sur la crise grecque. (Leur témoignage sera très vite en ligne ici.)

Après un dernier regard à l’Acropole, on charge nos sacs à l’aube (une fois n’est pas coutume). Direction : Volos et les plages du Pélion (une péninsule montagneuse 300 km au nord). «Avec un peu de chance, on déjeunera là-bas».

VolosLa réalité temporise vite notre optimisme. À l’entrée de l’autoroute, le trafic est dense et charie un nuage suffocant de particules fines (et moins fines). On ne nous adresse la parole que pour nous indiquer la direction de la gare routière. Le seul véhicule qui s’arrête propose de nous y conduire. «ici on ne prend pas d’autostoppeurs» insiste Andréas. Lire la suite

J24: La Grèce (sauf que…)

42 degrés à Thessalonique, étuve peu propice au tourisme. L’ascension d’une poignée de ruelles escarpées jusqu’aux remparts suffit à convaincre nos organismes en ébullition de poursuivre notre route vers l’est. Et trouver un point d’eau où nous rafraichir.

Postées à la périphérie de la ville dans la direction de Alexandroúpoli. A peine le temps de lever le pouce que Théo nous fait une proposition alléchante :  Il nous conduira où nous souhaitons mais a prévu de faire halte sur « la plus jolie plage de la région ». Nous ne pouvions espérer mieux !

Sauf que… La conversation avec ce jeune militaire à la voix trainante prend rapidement une tournure soporifique et le trajet jusqu’à la plage semble interminable. Il s’avère également être complètement paranoïaque. Constatant que nous prenons des notes, il s’inquiète de ce que nous écrivons, décline notre caillou-cadeau traditionnel car « sa femme pourrait être jalouse » et refuse que l’on immortalise l’instant par un cliché « au cas où elle le verrait ». Il a aussi la fâcheuse manie d’entamer chacune de ses phrases par un très irritant « look Aurélia/Sandra… ». Lorsque nous parvenons (enfin) sur place, nous sommes (déjà) passablement exaspérées. Heureusement, il n’a pas menti au sujet de la plage. Eau turquoise et sable blanc, nous somme comblées.

Sauf que… Le garçon est adhésif. Impossible de s’en débarrasser. A contrecœur, nous poursuivons la causette entre deux tasses d’eau salée. Il nous faudra ensuite assister au spectacle d’une partie de beach volley en trois rounds, appliquer de l’huile solaire sur son dos et, bien sûr, applaudir dès qu’il marque un point, puisqu’il cherche l’admiration dans nos regards à chaque balle gagnante.

Le prix à payer devient exorbitant et l’agacement épidermique. Nous songeons bien à fuir ce traquenard, trouver un autre conducteur, mais nos sacs sont restés dans le coffre de sa voiture…  Revanche et belle, donc.

Une fois sa partie gagnée (trop facile, dit-il), il nous présente Michaël, un de ses amis… dentiste. La profession fétiche d’Aurélie nous poursuit – le spécialiste ne manque d’ailleurs pas d’établir un diagnostique sur l’état de notre mascotte d’incisive. Au top de sa forme depuis l’intervention du chirurgien slovène.
Un peu cynique, un peu frimeur, l’homme nous fait retrouver le sourire. Lorsque les deux compères nous proposent de dîner avec eux, nous ne pouvons pas refuser. Théo a beau être horripilant, il n’en est pas moins d’une gentillesse désarmante :  «Je n’aurais jamais imaginé passer une journée si merveilleuse lorsque je me suis arrêté pour vous prendre en stop…». Xanthi est réputée pour être l’un des berceau de la cuisine grecque, au moins nos papilles auront-elles l’occasion d’y goûter.

Sauf que… Le restaurant qu’ils choisissent pour nous est français et diffuse la BO d’Amélie Poulain en boucle…
Ainsi va le (presque) fabuleux destin des P’tites Poucettes en terre Hellénique.

J23: Au nom de la rose

Neuf véhicules pour nous conduire d’Ohrid à Thessalonique.
 Un vidéaste de mariage, un éleveur de vaches, une étudiante… Un caillou enterré en hommage à Bertrand Guillot au pied de la tour de l’horloge à Bitola (ne nous demandez pas pourquoi, nous suivons aveuglement la consigne).


Et puis… la Grèce. Et la crise, immédiatement évoquée. Un euro qui a eu leur peau. Natalia, 33 ans, au chômage depuis trois ans.

L’homme tout nu (ok. A demi), sans emploi mais avec beaucoup d’allant (160 km/h de moyenne et une suggestion parfaitement formulée alors que son niveau d’anglais était jusqu’alors proche du nul : « If you don’t find in Edessa, you can stay with me. Sleep together ? » Le presque-tout-nu-en-sueur fait un câlin à Aurélie « Pour la photo ».

Plus tard, un industriel en berline sièges en cuir blanc prend le relais. (Étonnamment indifférent au fait que Sandra ose s’asseoir sur ses sièges immaculés avec le kébab dégoulinant acheté au bouiboui du coin !). Nous donnons le change en chantant (la bouche pleine).

 Et puis un boucher, avec son fils, martelant un discours selon lequel le stop est dangereux « Il y a même des cas de trafic d’organes. On ne sait jamais, quelqu’un pourrait vous endormir pour prélever vos reins »

Des changements de voitures en no mans land.
 Et soudain… Saïki.

Tel un ange perché sur son 38 tonnes chargé de carcasses de porcs, il s’arrête, nous fait signe « worry no » dans un greeko-anglais approximatif. Nous jouissons du plus beau panorama du pays depuis le pare-brise de son camion.

Débordant d’enthousiasme, il fait provision de bouteilles d’eau, de chips, de gâteaux, de chewing-gums…Nous lui présentons notre lapin. Aurélie lui fait un dessin. Galet sur le tableau de bord. Il insiste pour que nous emportions sa clé USB chargée d’électro locale « pour le souvenir de ce moment ».

Ni plan, ni guide, pas même conscientes du décalage horaire en vigueur. Aucun sous poche et une vague idée de notre point de chute à Thessaloniki (notre fidèle carte routière s’arrête ici):  Kalamaria , un nom glané au hasard d’une discussion entre deux bières autour du lac d’Ohrid. « OK. Je vous laisserai aux environs ». Parole tenue.

21 heures. Nuit noire. Un centre commercial. Une rue non éclairée. Et à l’angle… le collègue de Saïki, avec deux roses. Notre chauffeur romantique l’a appelé sur le trajet pour lui commander ce cadeau pour nous.

Fleurs en mains en mains et sourire aux lèvres, nous avançons dans la zone désertique en le regardant s’éloigner… Puis alpaguons une nouvelle voiture, en quête d’un centre moins industriel. Bientôt arrivées à destination. En hommage, nous porterons ses fleurs jusqu’au Bosphore.