J3 – Le marathon du pouce

Réveil à l’aube face à la Baie des Anges et copieux petit-déjeuner (« Reprenez de la brioche les filles, on ne jamais, si vous pouviez plus manger après… »)

Sylvana Lorenz, célèbre galeriste, mère d’Amandine et indescriptible personnage, nous raconte qu’elle a fait la rencontre de son mari en faisant du stop, à seize ans. Un voyage scolaire à Nuremberg, une fugue de la famille d’accueil pour s’échapper en discothèque avec sa copine Martine (d’où la série Martine au Beer Garten), un bel Allemand en décapotable, une demande en mariage trois mois plus tard, et…Amandine ! Nous proposons à nos deux hôtes de faire une photo portrait (pour vous les présenter). « D’accord, mais laissez-moi mettre mon maillot de bain et ma casquette Cardin ». (Sylvana, of course). Les deux femmes, chacune dans leur genre, la blonde et la brune, la discrète et l’excentrique, sont complices, sublimes. Nous citerons qu’une phrase de Sylvana, lue dans une interview de People & Gotha (puisqu’après l’avoir rencontrée, on ne peut que vouloir en savoir plus sur cette femme) :

–    Un bon artiste est un artiste mort ?
–   Je couche avec mes artistes, donc je les préfère vivants !

Encore quelques compotes-croissants-tartines-en-prévision-de-la-famine-à-venir, puis nous quittons les hauteurs de Cimiez pour le bucolique échangeur autoroutier de Nice-Nord.

Dimanche,13h00, 45°C à l’ombre, plus rien à boire et stores des magasins invariablement fermés. Peu de voitures, ou alors des bolides qui, même s’ils avaient la velléité de freiner, peineraient à s’arrêter avant la frontière. La tablette de Milka offerte par Sylvana va peut-être finalement nous sauver la vie… Nous faisons le tour du rond-point en étoile, pour voir si l’une ou l’autre de ses branches nous porte davantage chance.

Après vingt interminables minutes, deux jeunes garçons nous abordent (in extremis avant mutation en tomates séchées) et proposent de nous avancer jusqu’à Monaco « à un bon spot de stop… ». Quinze kilomètres de climatisation, c’est déjà ça.

Portugais d’origine, Bruno et Daniel vivent et travaillent à Monaco, dans le bâtiment. Sur le Rocher, le secteur immobilier ne connaît pas la crise et ils semblent heureux de leur vie dans la Principauté, même s’ils se rendent à Nice chaque semaine pour se ravitailler en produits culinaires portugais (ils sont intraitables : la France c’est cool, mais niveau quantité et goût, la bouffe, c’est mieux là-bas !).

Ils nous quittent sur le parking d’un palace surplombant la baie après avoir admiré le panorama avec nous. Beat électro en moins, c’était presque romantique.

Dans le balai des chauffeurs, voituriers et véhicules de luxe, notre look dénote ! Quoi qu’il en soit, le « bon spot » de Joseph & Daniel était effectivement un 5 étoiles, car très vite une Chrysler noire se range quelques mètres devant nous. Le conducteur gesticule à notre adresse. Son geste semble dire : « dégagez les routardes, je veux me garer sur votre campement de bohémiennes ! » Alors que nous sommes sur le point de migrer, penaudes, son insistance suspecte nous pousse à nous approcher. En réalité il s’agit d’un couple qui s’évertue à nous inviter à monter. Ils vont à Turin. Inespéré.

Jean-Blaise, 43 ans et Marie, 27 ans, sont jusqu’ici les personnes les plus adorables nous ayant invitées à partager leur route. Respectivement originaires de Centre-Afrique et du Burundi, ils se sont rencontrés en Suisse, où ils vivent depuis dix ans. Lui est ingénieur dans les télécoms et elle, assistante médicale. Ils passent leur temps à se chamailler, complices, sur l’itinéraire, leur version du voyage en Corse dont ils reviennent, les cachoteries de Jean-Blaise (il nous glisse que sa voiture a été enlevée à la fourrière alors que manifestement, Marie n’était pas au courant)… Mais s’accordent sur un point : la solidarité c’est naturel. A chaque fois qu’un autostoppeur croise leur chemin, ils l’embarquent, enthousiastes à l’idée d’une nouvelle rencontre. D’où la blague culte d’Aurélie : «On a rencontré beaucoup de gens blasés, mais de Jean-Blaise, c’est la première fois ! »

Entre Monaco et Cuneo, il emprunte la route de montagne, l’étroite, celle qui serpente au dessus des vallées. 40 km/h max. Ralentir encore, pour mieux voir.

Jean-Blaise fait un détour pour nous rapprocher de notre destination, le petit village du Piémont où vit Faustina, la sœur d’Aurélie. Nous les quittons après avoir découpé le bout de carte correspondant au trajet partagé et notre désormais traditionnel galet (à ce rythme, il va falloir se réapprovisionner).

Bra, ville inconnue des guides… Et pour cause… Nous atterrissons au milieu d’une cité industrielle, grise et déserte. Un jeune (LE jeune ?) nous indique le centre. Sur le chemin, nous déclenchons un fou rire devant une statue aux bras multiples (jeux de mots intarissables vous l’imaginez, d’autant plus qu’Alba, la ville suivante, est celle de l’usine Nutella. Pas de bras… ).

Pause Coca (si, si) puis mini-stop jusqu’à la ville chocolat, donc.

A peine le temps de retourner l’ardoise, que déjà, une voiture s’arrête. Deux types… patibulaires. L’habit ne fait pas le moine, mais nous nous sommes promis que si l’une ou l’autre avait une mauvaise intuition, nous ne monterions pas. Notre excuse est fumeuse: Nous attendons la mère, puis la sœur d’Aurélie, puis les cousins armés, nous n’embarquons qu’avec des femmes… Bref, après quelques bredouillements, ils abandonnent.

Pour le mieux, puisque dans la foulée s’arrête Giulia, 23 ans, illustratrice pour des films d’animation. Elle nous parle de la rivalité entre Bra et Alba, une ville de foot, populaire, et une autre plus snob, culturelle.

Giulia parle français et cherche ses mots quelques instant pour décrire la zone que nous traversons. Nous tentons de l’aider : « Industrielle ? Populaire ? Délabrée ? Banlieue dortoir ? »

Non, « zone naturelle protégée ». Oups…

Mais déjà, l’odeur chocolat-noisette d’Alba nous accueille. Nous achevons cette longue et riche journée de stop en rejoignant la famille de Faustina, sous le coucher de soleil des collines piémontaises.

J2 : Antibes-Nice

Sous les galets la plage… d’Antibes. Juste pour un bain de mer. Une demi-heure, ou deux, ou trois…Puis remonter. Alléger, empaqueter les sacs.

17h30. Nous sommes en retard. Censées atteindre Turin ce soir, nous portons, pour l’occasion, un assortiment de vêtements vert-blanc-rouge et une ardoise aux couleurs du drapeau italien. Judieux choix de costume apparemment puisque notre temps d’attente sur le bord de la Nationale 7 n’excède pas 1 minute 30. Sauf que… Les filles s’arrêtent à Nice… « Ca vous avancera toujours, on vous dépose à l’entrée de l’autoroute vers la frontière… ». Soit. 

Priscilla et Aurélie ont 25 ans, elles sont niçoises pour de vrai (ave l’accent idoine, y tout y tout) et nous embarquent, enthousiastes, le long de la Côte d’Azur. Pendant le bref trajet que nous partageons, Aurélie (l’autre – cet article va demander un degré de concentration élevé…) demande si nous connaissons la boutique « Ind… » à Paris. « Ils vendent des fringues style pin-up/gothiques/skaters. »

Nous revient en tête l’enseigne d’un restaurant du quartier des Halles «kebab, crêpes, tacos, pizzas, sushis». Autant regrouper les chances de plaire à tout le monde (même si la frontière avec l’effet inverse est aussi fine que la pâte de leur pizza surgelée…).

Elle veut trouver l’adresse, recherche les coordonnées du magasin sur Internet… Rue Keller ! Coïncidence : Aurélie y habitait il y a peu ! Et est semble t-il, passée à côté de l’antre de la mode… Les filles ne connaissent que peu la capitale. Elles nous confient leur appréhension d’un métro complexe où elles redoutent de se perdre, de la fourmilière des travailleurs aux heures de pointe…

Arrivée à destination imminente. Priscilla contourne les grands axes, n’hésite pas à faire des détours et n’emprunte que des petites rues afin d’éviter à tout prix les feux rouges.
« Je ne les supporte pas. » Coup d’œil à l’horloge. 18h00. « Et si… ? »

Non, nous ne pouvons pas faire ça. Même si notre amie auteure Amandine nous a offert un hébergement, qu’un autre ami bassiste donne un concert ce soir au théâtre de verdure… Nous ne pouvons pas nous arrêter là ? A moins que… Se fier aux signes (Priscilla et Aurélie, l’heure qui n’en finit pas d’accélérer, les invitations qui pleuvent…) ?

Nice nous tend les bras ! Turin attendra demain. Nous offrons un galet peint à nos conductrices hautes en couleurs et nous libérons de nos paquetages. Juste quelques toutes petites heures…

(Et si prendre la route, c’était aussi ralentir, ne pas la prendre parfois ?)

J1 – Nîmes/Antibes

Premières flexions de pouces, à la sortie de Nîmes. Parenthèse : autant l’avouer tout de suite… Oui, c’est du sud de la France que démarre notre périple, non de la capitale comme nous l’avons laissé entendre, par l’usage d’un logo frauduleux et d’un intitulé trompeur… Nous nous devions de rectifier en toute transparence cette information. (A présent, si vous ne voulez plus entendre parler de nous, nous le comprendrons très bien). Nîmes donc. 15h30. Derrière les barrières de péage, l’autoroute direction Antibes. Nous avons écrit ces sept lettres en capitales sur l’ardoise Velléda customisée qui nous sert de pancarte

– Tu crois qu’ils arrivent à lire ?
Regards encourageants, sourires gênés, gestes troubles…

– Tu crois qu’il faut que je cache mon gros sac ?
Klaxons, gasoil, cagnard…

– Tu crois qu’on sourit trop ? Pas assez ?

Chance de poucettes débutantes, l’avenir nous le dira, mais fructueuse initiation du moins, car après quatorze minutes, un véhicule ralentit à notre approche. Berline noire, climatisée – la seule ouverture de sa vitre fait baisser la température extérieure de 5 degrés). Francesco va à Nice… Parfait.

ll nous confie que c’est la première fois qu’il prend des autostoppeuses. Pourtant, c’est un écumeur de bitume. Italien, de Rome, il réside depuis treize ans à Nice et dirige une équipe de commerciaux pour… Barilla ! C’est lui qui est chargé de fourguer tortellinis, lasagnes ou tagliatelles aux grandes enseignes de distribution du sud-est de la France. Afin d’éviter tout cliché, nous ferons l’impasse sur le reste de sa carrière (juste un indice : avant, il était commercial pour une marque d’huile d’olive…).

Toujours est-il que Francesco nous traite comme des princesses. Il nous offre des cafés et des bouteilles d’eau au péage (Il faut dire que la serveuse venait de refuserde recharger notre gourde – il a dû avoir pitié), met Julio Iglesias à fond dans la voiture, et rit à toutes nos blagues (son côté louche).

Sa principale qualité toutefois : Une patience à toute épreuve. Première fois oblige, nous sommes excitées comme des puces pendant trois heures. Discussion animée à l’avant, (en français, en Italien…) et confection d’une aquarelle-souvenir à l’arrière.

Nous lui présentons notre lapin lumineux et expérimentons le répertoire de notre nouvelle formation musicale : « les Mariachattes » !

Francesco ne craque pas, imperturbable, voire bon public ! Il nous conduit précisément devant la porte de l’amie qui nous héberge à Antibes. Nous le quittons avec une pointe de regret mais « promis nous penserons à lui à chaque plat de pâtes… Al dente !

Accueillies par Claire et son mari Pablo qui ont préparé le dîner, et, parfait timing, nous voici en deux temps trois mouvements, pieds sous la table, sur son balcon face à la mer.

On va boire un verre en ville? Ok. On prend le bus? Ok. Il n’y en a plus. On marche? C’est combien de temps ? Vingt minutes max, dit-elle. Ok.

Bord de mer/route, lune rousse, et au loin (très loin…), le Fort carré. Une bonne heure plus tard, nous atteignons enfin le port (NdlR : Claire revient du Pakistan, sa notion du temps est différente de la nôtre, ce n’est pas sa faute). Nous saluons le Chinois qui découpe des silhouettes, les Péruviens et leur reprise de Titanic à la flûte de pan, les vendeurs de bracelets brésiliens, pour enfin atteindre le graal… une terrasse et une (deux) bière(s) (bien méritées), et trinquons comme il se doit au succès de cette première étape.

Pourtant, à présent que nous pouvons convertir l’unité de temps « Claire » en unité de temps universelle, l’ombre de la randonnée-retour plane… « On fait du stop ?! » A quatre avec un mexicain grand comme trente pommes, c’est pas franchement gagné… Mais Claire est déjà au bord de la route, pouce levé.

A peine deux minutes et une décapotable s’arrête à notre hauteur: «Bon, à l’arrière normalement on ne peut être que deux, mais vétant donné qu’il s’agit d’une voiture volée, de toute façon… » Claude le gentil-faux-méchant nous offre notre deuxième ride du jour (on devient complètement accros). Chevelures au vent, regards accrochés à la lune, et à notre bonne étoile.

Facile le stop nous direz-vous ?
On croise les doigts (moins un) pour la suite.